Cataonie
de François Blais

critiqué par Libris québécis, le 27 mars 2015
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'Homme est un sot
Les inconditionnels de François Blais, dont je suis, ne jouiront, hélas, que de deux heures tout au plus du joyeux divertissement qu’il a concocté pour notre plaisir. 117 pages, c’est court quand un féroce appétit nous porte à dévorer Cataonie, une œuvre atypique d’un auteur né à Grand’mère en Mauricie.

Pour ce recueil de nouvelles qui voisine le roman, il a muté son héros grand’mérois à Shawinigan, la municipalité voisine de sa ville natale. Le nouvel environnement de Monsieur B ne le rendra pas moins corniaud comme le confirme Firmin, son ami d’enfance : « Monsieur, vous êtes un sot. » N’est pire sot que celui qui n’entend pas les vérités qu’on lui sert. Le héros est habité par l’impavidité comme Tartarin. Dans tout, il se fixe des buts inaccessibles et, surtout, saugrenus comme celui de compter lui-même les mots de sa dernière œuvre puisque les moteurs de recherche différent sur le nombre. Arc-en-ciel compte-t-il pour un mot ou trois mots ? Les Googles de ce monde se disputent sur les méthodes de calculs. Les sciences exactes seraient-elles une fumisterie ? Des mots, le pauvre bougre passe à l’amour. Il délaisse une amante reconnue pour sa vénusté afin de séduire la caissière naine.de l’épicerie. Quel honneur se serait pour cette femme d’être conquise par un homme bien proportionné ! Mais il existe honneur plus grand. La seule façon d’y accéder, c’est de jouer à la baudruche. La politique se présente comme le moyen idéal d’atteindre cet objectif « sans faire de longues études ni posséder quelque qualité ou talent particulier.». Mais le domaine exige d’être pistonné. Qui de mieux qu’un vicomte, magnat de la presse locale, pour soutenir un candidat auprès de l’électorat ? Encore mieux. Monsieur B est assez imbu de lui-même pour se considérer comme un personnage du roman Angéline de Montbrun de Laure Conan. Il aurait supplanté le philistin en quête du cœur de l’héroïne. Comme dandy, croit-il, son charme fou l’aurait foudroyé sur-le-champ.

Toutes les nouvelles sont savoureuses, en particulier celle du cochon condamnée à la chaise électrique. François Blais s’est lancé des défis en narrant ses histoires amusantes. Il a choisi de les raconter en employant le passé simple, un temps qui impose le subjonctif imparfait aux propositions subordonnées. Ces temps de verbe étaient requis pour que les effets stylistiques pussent décaler l’œuvre vers l’époque classique. L’œuvre est apparentée aux pièces en prose de Molière. Même esprit d’ailleurs qui recourt au vouvoiement envers les personnages familiers. Une écriture surannée qui se déploie dans un contexte moderne, voire les ventes de garage (brocantes), le dépanneur (petite épicerie), un P. K. Péladeau déguisé en patricien (ponte de la presse québécoise). Le contraste contribue à l’humour intelligent qui distingue le recueil.

Derrière ce projet littéraire apparemment farfelu se cachent les travers d’une société accolée à l’insignifiance, à la gloire éphémère, à l’amitié factice, à la primauté de la beauté, à l’apparence, à l’argent… Bref, au veau d’or de notre siècle qui ombrage l’antériorité de l’ère électronique.