La stratégie de la bactérie : Une enquête au coeur de l'industrie pharmaceutique
de Quentin Ravelli

critiqué par Colen8, le 21 mars 2015
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Un cas d’école de la relation santé-médicament
C’est l’histoire de Pristina, une histoire révélatrice du libéralisme et de la mondialisation imposant leur domination sur un marché en crise. Racontée par un sociologue et écrivain, elle est l’aboutissement d’un travail minutieux et fascinant étalé sur plusieurs années qui a couvert toutes les fonctions, tous les acteurs, tous les interlocuteurs de l’entreprise impliqués dans la vie de ce médicament. Pristina est le nom familier d’un antibiotique commercialisé depuis les années 60’s. Sa fabrication résulte de processus complexes consistant à faire proliférer dans une cuve de fermentation la bactérie dont est issu l’antibiotique. Celui-ci est utilisé en première intention contre les infections cutanées. Il est encore protégé par des brevets.
Le défi stratégique de l’entreprise est de taille. Il s’agit d’améliorer la marge malgré des menaces multiformes d’érosion possible du chiffre d’affaire : maîtrise des dépenses de santé, concurrence des génériques, multi-résistance des bactéries accompagnées des campagnes officielles « les antibiotiques c’est pas automatique », faiblesse des investissements pour une classe thérapeutique moins attrayante que les pathologies chroniques des pays « riches », conflits d’intérêts en cascades, scandales sur des médicaments.
Se dévoilent ainsi les jeux de rôles faits de tensions permanentes entre haut management et opérationnels, entre marketing et vente, au sein des unités de production comme de la recherche, ainsi que dans les relations avec les experts médicaux et les autorités de santé publique. Une approche subtile respectant la réglementation, toujours éthique en apparence, a élargi la prescription de Pristina aux affections respiratoires modérées puis aux bronchites chroniques, à la suite d’essais cliniques dont les conclusions jouent habilement sur une part de flou et d’incertitudes.
Au fil des pages sont observées et analysées une formation des visiteurs médicaux réalisée par le marketing, les conditions éprouvantes du travail posté en continu des ouvriers de l’usine, la surveillance continuelle qui doit désamorcer les risques de conflits internes. La part scientifique est abordée au cours d’un séminaire annuel d’infectiologie animé par les pontes de la recherche universitaire. Organisé par les grands laboratoires qui en sont la cheville ouvrière, ce séminaire cible les médecins généralistes qui doivent y voir une vitrine de la légitimité des premiers. Afin de maintenir des prix très supérieurs à ceux d’antibiotiques à indication équivalente, on comprend l’éclatement calculé des tâches de production, qui ajouté à l’automatisation des lignes voit les effectifs ouvriers fondre au fil des ans, ainsi que la politique de délocalisation et de sous-traitance qui brouillent les coûts internes. C’est un travail documentaire rare, bien maîtrisé, de grande qualité.