Les Yeux dans le mur
de Céline Wagner (Scénario), Edmond Baudoin (Dessin)

critiqué par Shelton, le 28 février 2015
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Et si la perfection était de ce monde ?
Il m’arrive de lire encore ici ou là des critiques qui mettent l’œuvre d’Edmond Baudoin dans une boite portant les noms d’hermétique, austère, inaccessible, difficile, élitiste… Cela me surprend toujours car par ailleurs on peut lire de cet auteur qu’il est un véritable artiste, un peintre sans équivalent, un graphiste pur, un auteur qui privilégie l’esthétique, un poète merveilleux, un raconteur d’histoires étonnant… Et face à tout cela je n’ai envie de dire qu’une chose, Edmond Baudoin est un grand auteur de bandes dessinées, tout simplement.

Que certains aient du mal à entrer dans ses œuvres, que d’autres y installent leurs nids, que les derniers rêvent en sa compagnie… Qu’importe ! Ce qui compte c’est que ces albums, les uns après les autres, racontent des histoires bien construites, cohérentes, accompagnées de dessins aboutis, le tout pour emporter les lecteurs dans un univers, celui de Baudoin ! N’est-ce pas là la définition d’un auteur qui construit son œuvre sans se soucier des critiques, de la mode, des habitudes commerciales ?

En 2003, il signe un album en compagnie de Céline Wagner, Les yeux dans le mur, dans la prestigieuse collection Aire Libre, chez Dupuis. C’est l’occasion pour lui de montrer un aspect de sa personnalité, son humanité, son ouverture… Je lui laisse la parole car ce qu’il met en guise de préface de l’album dit tout cela merveilleusement bien :

« … J’ai reçu une lettre avec une demande étrange : « J’aimerais venir chez vous pour faire mon stage de fin d’étude ». Je me souvenais de sa boucle en or et son regard délinquant. Je lui ai dit oui. Elle est venue. Je ne sais plus aujourd’hui lequel des deux a été stagiaire. »

Tout est dit. L’auteur reçoit une étudiante, ils signent ensemble un album, il permet à Céline Wagner de mettre un pied dans le métier par une des plus grandes portes, il est si humble qu’il apprend auprès d’elle, qu’il ne tire pas la couverture à lui, qu’il respecte le talent de l’autre… Tout Baudoin ! Mais revenons-en à l’album lui-même…

Tout d’abord, même si l’album a deux signatures, on voit immédiatement la patte Baudoin avec son graphisme habituel même si à l’intérieur on découvre des éléments de Céline Wagner. Comme souvent, chaque case est un tableau, une performance, une œuvre à part entière.

L’histoire est en quelque sorte dans le prolongement du Portrait, c’est-à-dire que Baudoin va explorer en compagnie de Céline Wagner l’autre, l’altérité, le fait de réaliser un portrait… Certaines phrases sont puissantes et méritent d’être lues et relues…

« Il me gomme. Il gomme petit à petit la réalité pour coller ma gueule sur son tableau. Moi, je ne veux pas être un tableau. Je veux devenir moi ».

« On ne peut pas y arriver. L’autre reste l’autre. C’est toujours un autoportrait qu’on fait ».

« Quelle obsession de te voir dans tout ! »

Je lis, je relis cet album et je suis toujours envoûté, secoué, perturbé, ballotté, touché, ému, renversé… Un album merveilleux et je crois qu’un jour on rendra hommage à ces deux auteurs d’avoir osé faire si beau et si fort !

Je ne suis pas le seul à aimer et voici ce qu’en disait Marie de scenario.com en 2003 :

« Cette bd est un vrai bonheur tant l'histoire est entière et tant elle est mise en valeur par Baudoin. C'est magnifique, intense, et totalement enrichissant ! A lire absolument ! ».

Il se trouve que je n’ai rien à ajouter si ce n’est de vous inviter, moi aussi, à lire et relire Baudoin, un des plus grands contemporains de la bande dessinée !