J'espère que tout sera bleu
de Jean Pierre Girard

critiqué par Libris québécis, le 11 janvier 2004
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Pour le meilleur des mondes
Certains jeunes écrivains maîtrisent parfaitement les mécanismes de la langue et s'en servent parfois à mauvais escient pour séduire le lecteur. Leur écriture annonce une perestroïka littéraire qui sent plutôt l'esbroufe. Ces «performers» agissent comme des étudiants en quête de distinction auprès de leurs professeurs.

Jean-Pierre Girard fait partie de ces auteurs éblouissants. Ses audaces sont intéressantes. Par contre, on peut s'interroger sur la pertinence de certaines techniques comme celle de déplacer les parties du discours dans l'ordre syntaxique dans l'exemple suivant : « Il me semble encore, ses doigts contre mes omoplates, sentir. » Briser le rythme d'une phrase semble un moyen bien pauvre de renouveler l'art d'écrire. Quand on exploite les possibilités de la grammaire, on s'adonne davantage à un exercice scolaire qu'à un produit littéraire. Cependant, il faut dire que de la veine suivie par l'auteur pour écrire son recueil de nouvelles surgissent souvent des passages fadés.

La plus grande richesse de l'oeuvre repose sur l'acuité de l'analyse des maux de l'âme. Contrairement au genre, les nouvelles percent en profondeur les personnages qui se sont caché les sentiments à la base de leurs actions et de leurs perceptions. Après mille et un détours, les héros débouchent sur une réalité qui rend le ciel plus bleu. Malgré leurs travers, ils réussississent à établir des ponts avec autrui. Une infirmière avoue l'amour qu'elle porte à son mari agonisant, deux frères reconnaissent leur amitié réciproque, le vieillard voit en une fillette l'avenir du monde. La plupart découvrent le sentier du sens dans un désert qui crée des mirages. D'aucuns accèdent à la parole qui les fait naître, parole qui n'est pas étrangère à l'éducation judéo-chrétienne que tout Québécois traîne dans son bagage culturel.

En somme, chaque nouvelle est une bouffée d'air frais dans un monde à désespérer de Dieu. Comme Yann Martel, Jean-Pierre Girard s'inspire de balises religieuses, évitant de justesse de sombrer dans le moralisme. Parfois, la leçon est véhiculée à travers une parobole très hermétique; parfois, elle coule d'une expérience douloureuse, mais toujours dans une langue flamboyante que l'on souhaiterait plus simple.