Trois guinées
de Virginia Woolf

critiqué par Alouette, le 13 février 2015
(Seine Saint Denis - 39 ans)


La note:  étoiles
Trois guinées
En parcourant la bibliographie de l'écrivaine anglaise Virginia Woolf, force est de constater que non seulement elle a publié des romans et de nombreux recueils de nouvelles mais aussi quelques essais critiques de la condition faite aux femmes de son temps. Parfois considérée comme féministe (comme nous le verrons au fil du texte, elle ne donne aucun crédit à ce terme), elle demeure pourtant l'une des plus grandes défenseures des droits des femmes, un combat qui parcourt tous ses livres et particulièrement Trois Guinées, un livre publié quelques années seulement avant sa disparition en 1941. Cet essai très engagé dans la cause féminine devait au départ n'être que la réponse circonstanciée à une question posée par un ami en ces heures sombres : « Comment empêcher la guerre ? » par le biais d'une correspondance. Il est vrai que la situation historique s'y prêtait aisément : Adolf Hitler, Benito Mussolini, Staline étaient alors des dictateurs exerçant leurs pressions sur les autres pays européens menacés d'une guerre à la moindre riposte. C'est donc dans ce contexte d'incertitude que naît cet ouvrage dont les échos ne cessent de nous parvenir. Trois ans lui auront été nécessaires pour examiner la question d'une manière détaillée. Et c'est en trois points, précisément en trois guinées symboliques (pièces en or rares à l'époque de l'écriture de l'ouvrage) que s'articule sa réflexion.


Qui est le ou la destinataire de la première guinée ? Dans un premier temps, Virginia Woolf établit un portrait fidèle à vocation sociologique des inégalités entre les femmes et les hommes sur le plan de l'éducation. Le financement ainsi que l’accès diffèrent effectivement pour les unes par rapport aux autres. Si tout le monde, femmes comme hommes, participe au financement de l'éducation par le biais fiscal d'une caisse globale, seuls les garçons en bénéficient pleinement alors que les filles ne peuvent au mieux qu'être initiées à l'allemand. En raison de ce problème, l'auteure souligne que les femmes n'ont pas la même perception des choses que les garçons puisqu'elles sont volontairement laissées dans une relative ignorance. Sans les ressources intellectuelles offertes par la culture livresque, elles ne peuvent pas soutenir une discussion sur des sujets aussi importants que la politique, l'économie ou bien sûr la guerre. De plus, et pour faire taire certaines critiques, Virginia Woolf explique que contrairement même aux femmes des classes populaires, elle appartient à une classe doublement désavantagée, celle des femmes de la classe dominante. Si (et c'est aussi le cas des femmes des classes populaires), elle est soumise à l'autorité patriarcale caractérisant sa propre classe (bourgeoise), elle n'a aucune influence directe sur le pays. Que les hommes de sa classe ou que les ouvrières s'unissent pour revendiquer une mesure ou s'opposer à une loi, ils et elles seraient la plupart du temps entendu-e-s alors que les « filles d'hommes cultivés » (et nous comprenons alors que derrière une femme se tient toujours déjà un homme) ne peuvent ni avoir une influence directe, ni arrêter une quelconque production pour paralyser l'économie du pays et faire entendre d'une manière forte leur voix.


Pour comprendre le contexte social des femmes anglaises, deux dates sont ici à retenir : 1918 comme étant l'année zéro du droit de vote des femmes de plus de trente ans (cette limitation qui ne concerne pas les hommes sera abaissée quelques années plus tard à 21 ans comme pour leurs homologues masculins) et 1919 où les femmes peuvent envisager une carrière professionnelle indépendamment du mariage. Deux avancées importantes pour l'égalité des droits des femmes en théorie, mais difficilement mises en pratique. Quelle est la situation en 1937 ? Même si certaines femmes ont pu avoir accès à un travail rémunéré, l'éducation n'est pas encore à égalité pour toutes et tous. Si des collèges de femmes ont pu voir le jour, ils ne sont pas encore rattachés aux universités (dont l'accès aux femmes restent encore très limité) et ne bénéficient pas des mêmes financements. C'est par exemple un véritable combat pour demander un prêt (et l'auteure parle bien d'emprunt alors que ces mêmes femmes, quand leur travail est reconnu par la norme salariale, cotisent autant que les hommes sans pour autant bénéficier des mêmes effets redistributifs).