Correspondance: (1946-1959)
de Albert Camus, René Char

critiqué par Don_Quichotte, le 23 mars 2016
(Metz - 37 ans)


La note:  étoiles
Fragments lumineux
Ce livre est celui d'une amitié d'hommes qui avaient en partage le soleil et le combat.

Deux résistants qui ont su tirer de leurs expériences effroyables une matière flamboyante, avec certes des moyens différents, mais dans une communion de pensée rare. Ils ont toujours eu présent à l'esprit une intransigeance rafraîchissante au milieu d'une société de compromis et d'intolérance. Pour qui aime ces deux hommes (car ici, l'oeuvre et la vie sont liées comme rarement dans l'histoire littéraire), le fait de découvrir, sans voyeurisme aucun, l'intimité de la joie qu'ils s'apportaient par le seul fait d'exister, provoquera une émotion profonde.

Char est un poète fondamental. Ses lettres sont faites de fulgurances et d'incandescences dans l'expression de son amitié et de son admiration (à propos de "l'Homme Révolté") : "Votre livre marque l’entrée dans le combat, dans le grand combat intérieur et externe aussi des vrais, des seuls arguments – actions valables pour le bienfait de l’homme, de sa conservation en risque et en mouvement. Vous n’êtes jamais naïf, vous pesez avec un scrupule. Cette montagne que vous élevez, édifiez tout à coup, refuge et arsenal à la fois,support et tremplin d’action et de pensée, nous serons nombreux, croyez-le, sans possessif exagéré, à en faire notre montagne. Nous ne dirons plus « Il faut bien vivre puisque… » mais « cela vaut la peine de vivre parce que… » Vous avez gagné la bataille principale, celle que les guerriers ne gagnent jamais. Comme c’est magnifique de s’enfoncer dans la vérité. Je vous embrasse. »

Camus est souvent plus mesuré dans ses propos, mais c'est une retenue qui rend plus sensible encore les marques de respect et d'affection qu'il porte à René Char, l'un des seuls selon lui à avoir su exprimer cette pensée de Midi qu'il a théorisé : "Je voudrais bien l'an prochain réduire ma vie à l'essentiel, autant que possible, et vous êtes dans cet essentiel."

A la fin de cette correspondance qui s'achève brutalement en raison de la mort de Camus, il y a une partie nommée "Camus sur Char, Char sur Camus", où chacun des deux évoque l'oeuvre de l'autre, en des termes d'une clarté si vive que leur lecture vous laisse une impression de calme énergie, qui vous revigore et vous oblige à réellement vivre les yeux ouverts.

Je vous invite, si cet échange épistolaire vous a plu, à lire également "La Postérité du Soleil", critiqué par Jules sur ce site.