La côte de sable
de Daniel Poliquin

critiqué par Libris québécis, le 7 janvier 2004
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Les amours d'un spécialiste du pôle Nord
Daniel Poliquin est un Ontarien né à Ottawa, la capitale du Canada. En 2000, on rééditait La Côte-de-Sable, l'un de ses meilleurs romans. Le titre évoque un quartier de cette ville, peuplé d'étudiants, de fonctionnaires et de diplomates. Jude, le héros, y a habité lors de ses études avant de devenir le grand spécialiste de l'Arctique mondialement reconnu.

C'est un personnage plus grand que nature comme on en rencontre souvent dans la littérature du Québec. Même si l'auteur se défend d'être québécois parce qu'il ne se sent ni persécuté ni martyrisé comme nous, son roman s'inscrit dans la lignée des coureurs des bois, des voyageurs, des bûcherons, des « dieux des routes » comme les appelle Germaine Guèvremont. Le Jude de Daniel Poliquin comme le François Paradis de Louis Hémon sont des assoiffés d'un ailleurs le plus nordique possible. Ces amants de la neige comme la Smilla de Peter Hoeg n'ont qu'un seul envie : courir les espaces boréals. Et les longs voyages de Jude ne visent qu'à parfaire ses connaissances sur le cercle polaire. Il créera même un institut afin que se conserve le fruit de ses recherches.

Le succès couronne ses initiatives. Il réussit également auprès de la gent féminine. C'est un Don Juan au charisme irrésistible. Les quatre femmes séduites de l'oeuvre sont tour à tour narratrices de la vie de ce chanteur de pomme. Marie s’amourache de lui pour échapper à l’ennui. Maud se sort douloureusement de son aventure qui devait durer toujours. Madame Élizabeth, qui l'a hébergé du temps de ses études, garde de lui un beau souvenir d'alcôve. Véronique voltige autour de lui comme un papillon qui ne craint pas de se brûler les ailes au contact de la flamme. Ces femmes brossent de lui le tableau d'un séducteur incorrigible, toujours prêt à fuir quand les liens amoureux risquent de se solidifier. Un aimant en mal d'engagement, qui invoque le prétexte de ses recherches pour dire « à la voyure » (au revoir) à ses amantes.

L'attente se compte en années. Ses conquêtes amoureuses le laissent froid contrairement à celles des grands espaces. C'est un conquérant qui peut percer le mystère de l'ailleurs, mais qui est aucunement intéressé à percer celui d'autrui. C'est un géant au pays du soleil de minuit, mais un nain sur le terrain de l'émotion. Il faut chercher dans l'enfance de Jude pour comprendre sa dynamique. C'est Élisabeth qui se charge de renseigner le lecteur sur l'éducation qu'il a reçue d'un père brutal, qui battait également sa femme, surtout en présence des enfants. Il est difficile de s'identifier à un modèle qui détruit l'amour et les liens filiaux par des bourrasques disproportionnées et injustifiées. La seule solution pour sortir de cet enfer, c'est de fuir. Et c'est d'autant plus facile quand son père lui indique la porte. Si les relations humaines sont impossibles, il ne reste qu'à établir des liens avec la nature. Et c'est dans ce contexte que Jude a développé sa passion pour l'Arctique. Oublier le passé pour refaire sa vie dans un ailleurs vierge de blessures. Mais le pire qui peut arriver, c'est de vouloir se faire oublier comme l'indique le dénouement.

C'est un roman très riche, qui descend profondément dans les motivations de ceux qui ont la bougeotte. Cependant l'écriture qui se veut naturelle donne l'impression de manquer de soins.