Un baume pour le coeur
de Neil Bissoondath

critiqué par Tistou, le 3 février 2015
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Récit de vieillesse
Ma première réaction à l’issue de la lecture fut d’aller regarder à quel âge Neil Bissoondath avait écrit ce roman. En 2003, il n’avait donc que 48 ans ! Etonnant, tant le propos est significatif de pensées, de sensations qui nous viennent à l’esprit … quand on devient vieux ! Ou plutôt quand la conscience nous vient de réellement devenir vieux.
Alistair Makenzie peut être considéré comme vieux. On sait qu’il a plus de soixante-dix ans, soixante-quinze je crois. Il est veuf et ce fut douloureux. Et six mois auparavant son appartement a brûlé et il a dû se réfugier chez sa fille (et conséquemment son gendre et son petit-fils), plutôt contre son gré (rythmes de vie radicalement différents, perte des repères spatiaux).
Neil Bissoondath va nous raconter comment et dans quelles conditions Alistair en est arrivé à cette situation, à coup de retours en arrière, de digressions prenant racine dans son passé.
Oh rien d’extraordinaire dans son passé. Une vie qu’on pourrait qualifier de « normale », si ce n’est une médaille obtenue pendant la guerre en Europe, pour une action même pas glorieuse et qui lui aura permis sans aucun doute de réchapper du carnage dont l’Europe s’était fait une spécialité dans la première moitié du XXème siècle !
Donc une vie normale, des évènements classiques. Classiques mais qui appartiennent à la vie d’Alistair et donc essentiels pour lui. Neil Bissoondath nous couche tout ceci par écrit de bien belle façon, avec sensibilité et intelligence. Des maladresses d’un homme jeune un peu timide aux interrogations pleines d’angoisse d’un homme devenu vieux qui se sait dépassé et qui ne comprend plus le monde tel qu’il s’accélère sous ses yeux.
C’est cette partie basée sur les sensations d’un homme devenu vieux qui sait qu’il devra en partie dépendre des autres et perdre une partie de son autonomie qui m’aura le plus intéressé.

« Hier matin, Agnès a eu la bonté de me conduire au centre commercial pour que je fasse mes emplettes. Une excursion de dernière minute, certes, mais à quoi bon bouleverser les habitudes de toute une vie ? Tandis que nous venons allonger la queue de voitures à l’entrée du parking, je marmonne quelques banalités sur les lieux, que je juge abrutissants : des boîtes massives de béton et de briques agglutinées sans souci esthétique, sinon celui du chaos, enlaidies encore par des enseignes lumineuses propres à allécher les comateux.
…/…
Après avoir contemplé et rejeté un éventail de possibilités, un pendentif et un nettoyant à cuvette miracle, par exemple, j’ai pris mon courage à deux mains et je me suis aventuré dans des boutiques débordant de vêtements tenues par de très jeunes femmes au corps d’une souplesse invraisemblable et au sourire amène. « Pour votre femme ? Votre fille ? Une jolie robe peut-être ? Ou encore une blouse ? » Les vêtements féminins me plongent dans l’impuissance. J’ai vite renoncé en me remémorant la leçon apprise la seule et unique fois que j’ai offert une robe à Mary pour son anniversaire :
- Tu me vois là-dedans ?
Depuis, je suis incapable de choisir ne serait-ce qu’un foulard. »