Le calvaire
de Octave Mirbeau

critiqué par Nathafi, le 30 janvier 2015
(SAINT-SOUPLET - 57 ans)


La note:  étoiles
Roman exutoire
Octave Mirbeau nous raconte ici la folle histoire d'amour de Jean Mintié, écrivain raté, avec Juliette Roux, femme de petite vertu, pour laquelle il éprouve une passion sans borne. L'écrivain s'est largement inspiré de sa propre liaison avec Judith Vinmer, laquelle l'a fortement fait souffrir, et offre ainsi un écrit exutoire.

Mais ce récit ne se borne pas à cette liaison, il commence par l'enfance plus que difficile de Jean, auprès d'un père peu affectueux et d'une mère malade, mélancolique, de petite santé, qui meurt d'ailleurs à 31 ans. Il évoque aussi la guerre de 1870, où Jean Mintié se bat contre les Prussiens. Il y dénonce la Patrie qui abandonne ses soldats, la bêtise des Officiers, les horreurs de ces combats.

Jean rejoint Paris, persuadé de trouver son salut dans la capitale. Là, il se lie d'amitié avec Joseph Lirat, un peintre convaincu de son art, blasé de tout, des femmes en particulier, qu'il exècre presque. C'est dans son atelier que Jean, effacé, timide et gauche, rencontre Juliette, modèle occasionnel. Malgré le portrait peu glorieux qu'en dépeint son ami, le jeune homme est charmé par la belle et se fait fort de la séduire.

S'ensuit une folle passion, démesurée, les délires se succèdent, les souffrances s'accumulent. Jean est bientôt ruiné, dépossédé de tout, est incapable de noircir une page, mais ne se résout pas à se libérer de cette véritable emprise. Il aime, qu'importe ce qui arrivera, et ne veut surtout pas perdre sa Juliette.

Quelle écriture ! Les mots coulent de ce coeur en pâmoison, jaillissent de cette tête en ébullition, s'échappent de ces sens exacerbés qui rendent le jeune homme fou à lier !

Oui, M. Mirbeau a une belle plume, je ne me lasse pas de le répéter, ce livre encore ne peut que m'en convaincre !
Un auteur majeur trop souvent ignoré 9 étoiles

J'ai découvert Octave Mirbeau avec ce livre, par hasard. Depuis, Mirbeau est ma référence, pour son expression française. Plutôt que copier le style réaliste d'un Zola, il invente, se débarrasse des longs descriptifs, privilégiant des effets de ressenti et de texture.

Ce livre est connu pour son attaque terrible contre la patrie, puisqu'il y raconte quel fut son vécu de la guerre de 1870.

Les mots ont choqué et Octave Mirbeau en a été en quelque sorte, sanctionné. Je ne résiste pas à les citer car il est dans le domaine public :

« C’était la lutte ; loi inexorable, homicide, qui ne se contentait pas d’armer les peuples entre eux, mais qui faisait se ruer, l’un contre l’autre, les enfants d’une même race, d’une même famille, d’un même ventre. Je ne retrouvais aucune des abstractions sublimes d’honneur, de justice, de charité, de patrie dont les livres classiques débordent, avec lesquelles on nous élève, on nous berce, on nous hypnotise pour mieux duper les bons et les petits, les mieux asservir, les mieux égorger. Qu’était-ce donc que cette patrie, au nom de laquelle se commettaient tant de folies et tant de forfaits, qui nous avait arrachés, remplis d’amour, à la nature maternelle, qui nous jetait, pleins de haines, affamés et tout nus, sur la terre marâtre ?… [...] Qu’était-ce donc que cette patrie dont chaque pas, sur le sol, était marqué d’une fosse, à qui il suffisait de regarder l’eau tranquille des fleuves pour la changer en sang, et qui s’en allait toujours, creusant, de place en place, des charniers plus profonds où viennent pourrir les meilleurs des enfants des hommes ? »

Ces mots m'ont bouleversé. Mais l'auteur les a payés, on l'a désigné anarchiste et irrécupérable. Aussi, parce qu'il a raconté le viol dont il fut victime adolescent, par des prêtres. Dans le roman Sébastien Roch. De plus, dans Le Calvaire, il raconte aussi, sans pudeur, comment il s'avilit pour l'amour d'une femme. Cette crudité paraissait scandaleuse à son époque.

Mais qu'il fût un révolté ou un anarchiste, n'enlève rien à la qualité de ses écrits. Mirbeau est injustement oublié des programmes scolaires, parce qu'il est dérangeant. Il faut le lire absolument une fois adulte, pour découvrir une forme littéraire originale, qui n'emprunte rien aux modes. Derrière, on entrevoit un homme extraordinairement vivant, vibrant : sensible, bon, trop bon sans doute.

Alvano - - 47 ans - 31 janvier 2015