Dico impertinent de la montagne
de Cédric Sapin-Defour

critiqué par Radetsky, le 29 janvier 2015
( - 81 ans)


La note:  étoiles
La montagne, mode d'emploi facétieux
Cet opuscule tient tout à la fois du dictionnaire, de la chronique, voire du recueil d’aphorismes ainsi qu’en produisirent dans le passé les La Rochefoucauld, Chamfort et autres Rivarol. Mais attention ! L’univers dans lequel il déploie ses impertinentes observations reste une sorte de terra incognita pour le commun des mortels : la montagne. Non pas celle célébrée par la littérature, les légendes ou l’histoire, mais le « terrain de jeu » ainsi défini au XIXe siècle par le papa de Virginia Woolf, à savoir le révérend Leslie Stephen, honorable membre de l’Alpine Club.
Et pour couper court aux motifs, aux bonnes ou mauvaises raisons de sacrifier à un tel culte, un autre Anglais (ce devait être Geoffrey Winthrop Young, si ma mémoire ne me trahit pas), à qui l’on demandait pourquoi il se sentait obligé de se précipiter sur quelque affreux précipice vertical vulgairement appelé « montagne » et d’y grimper, bravant mille morts, répondit tout bêtement « because it’s there » (parce qu’elle est là).
Alors, afin de considérer avec le recul nécessaire l’objet de toute notre attention, de tous nos désirs, surtout celui de voir et vivre de belles choses, quoi de plus efficace que l’humour, la dérision, le sourire ou la franche rigolade sans laquelle une course en montagne n’est presque pas concevable ? Sans compter que l’alpiniste est en général franc buveur, franc mangeur et franc… bon, il y a des enfants qui pourraient lire.
Les techniques, les accessoires, le jargon (nommer une voie relève plus de la bouffonnerie que de l’esprit de sérieux), les attitudes, le regard porté sur soi et les autres, et une manière « d’être au monde » qui rassemble malgré tout des tempéraments bien différents dans un milieu échappant encore un peu au conformisme, tissent une toile qu’on croirait faite pour dissimuler une bande de kobolds facétieux, prompts au pied de nez en toute occasion.
Montagnard, grimpeur, alpiniste mon frère, il y a à boire et à manger dans ce bouquin rédigé dans une langue dont l’ésotérisme appuyé fera fuir nombre d’entre les « mathieux » (comprendre les touristes, « culs-de-plomb », clients de téléphériques ou de restaurants d’altitude, etc.) qu’ il nous arrive de croiser ; mais tous nos tics, nos foirades, notre sacro-saint « matos », toutes les « grandeurs et servitudes » d’une pratique dont les finesses et les faiblesses restent inconnues pour 99% de la population sont énumérés, classés et commentés avec force formules et artifices de langage propres à la pratique contemporaine de cette activité. Je dis bien « contemporaine », car ceux de ma génération ne firent qu’entrevoir l’avènement de modus operandi qui donnent justement matière à les évoquer ainsi de façon cocasse et irrévérencieuse. Mais bien des anecdotes, réelles ou imaginées, feront sourdre à nouveau tel ou tel de nos souvenirs de jeunesse, une manière de tendre une main complice à nos jeunes continuateurs.
Point de littérââture, de sentiments élevés, de morale sublime, de langage précieux ou ampoulé, mais un clin d’œil « en famille » pour les porteurs de grosses chaussures, pour ceux qui se foutent d’avoir froid, faim, soif, le trouillomètre à zéro, pas de douche, pas de cosmétiques, etc. mais qui songent à ce qui les attend « là-haut » : One crowded hour of glorious life (« une heure remplie de vie glorieuse », dixit Edward Whymper arrivant au sommet du Cervin le 14 juillet 1865).
Bonne montagne !