Spirou N° Hors-Série spécial Charlie
de Collectif

critiqué par Alexisculture, le 24 janvier 2015
( - 33 ans)


La note:  étoiles
150 auteurs pour un Spirou en toute liberté… d’expression
On n’a toujours pas compris ce qu’il s’est passé, c’était il y a un peu plus d’une semaine. Pour tout dire, c’était hier, c’était ce matin-même. De ces jours qui glacent le sang, et incitent à repartir de plus belle. Car si une partie de Charlie s’est envolée sous les impacts sans audace des Kalach’, Charlie vit encore avec des millions de personnes à son chevet, de tous les milieux. Mais s’il y a bien un milieu qui s’est mobilisé; choqué par cet ignoble attentat à la pudeur des dessins sans nulle violence; c’est le milieu des dessinateurs, des auteurs, des artistes de la bande-dessinée et de l’illustration, marqués autant dans leurs mines que dans leur chair. Preuve en est, ce numéro historique de Spirou: jamais en 76 ans d’existence le quotidien au groom n’avait publié de hors-série. C’est désormais chose faite avec ce Je suis Charlie, essentiel et important!

Voilà son édito:

« Le mercredi 7 janvier, une fusillade éclatait à la rédaction de CHARLIE HEBDO, à Paris, tuant 12 personnes, dont quelques-unes des plus grandes plumes du dessin de presse en France. Leur crime ? Avoir réalisé des caricatures et défendu des idées qui ne plaisaient pas à tout le monde.

Comme des centaines de millions de citoyens de par le monde, nous avons été bouleversés par cet attentat barbare qui cherche à museler notre liberté d’expression et à déstabiliser notre société.

En affirmant « Je suis Charlie », comme tant d’autres déjà, SPIROU et les Editions Dupuis s’unissent à tous ceux qui défendent avec force la libre circulation des idées.

Car la liberté d’expression est l’un des principes les plus précieux de notre société, elle permet à tout un chacun de faire valoir ses idées, y compris celles —­ et c’est là toute la fragilité du système ­— qui s’opposent à la démocratie.

SPIROU n’est pas un journal politique.
SPIROU est un journal de divertissement.
Mais depuis toujours, SPIROU défend la liberté, la solidarité, la tolérance, l’amitié, l’intelligence et l’humour.

Sans liberté de la presse, pas de démocratie.
Sans liberté de création, pas d’édition, et les bandes dessinées que vous lisez ici n’existeraient pas.
Sans liberté, pas d’humanité.

Ce hors-série n’a qu’un but : vous faire réfléchir aux valeurs que nous partageons. Protéger ces valeurs demande une vigilance de chaque instant. De tous : adultes comme enfants.
SPIROU, ami, partout, toujours. »


Et au total, dans ce numéro incroyable réalisé en une semaine (il faut plus d’un mois en général pour fabriquer un numéro normal dont la structure est souvent la même, c’est dire l’exploit de chaque membre de la rédaction de ce magnifique journal), plus de 150 auteurs se sont donné rendez-vous dans cet hommage et cet élan pour aller de l’avant. Des auteurs des éditions Dupuis mais aussi d’ailleurs, des auteurs parfois même pas publiés, d’ici ou de plus loin (le Finlandais Jussi Ahonen, l’italien Thomas Campi avec un remarquable dessin ou l’artiste anglais Dave Mc Kean avec une oeuvre forte). Chacun a apporté sa pierre à l’édifice en une case ou en un récit court d’une ou deux pages.

Le Spirou de Yoann en couverture, un Je suis Charlie barrant son t-shirt noir, est déterminé à sortir de l’obscurité et à laisser parler les mots et les dessins plutôt que les armes. Les héros hilarants ont les larmes aux yeux; les auteurs cherchent leurs mots; Pascal Jousselin a mal au bide; La petite Lucie et Pic & Zou ne veulent pas jouer aujourd’hui et explique à leur façon, remarquable, ce qu’il s’est passé; Fred Neidhardt fait le parallélisme avec les caricaturistes algériens, Mathieu Sapin a le crayon qui tremble… Les dessins, les dialogues se suivent mais ne se ressemblent pas, signe des émotions et des expériences différentes des dessinateurs. Ce Spirou est un portrait, une véritable fresque de l’éboulement intérieur d’une profession qui se pose des questions et tente de retrouver le goût de l’humour… le goût de l’amour (comme la très belle planche de Nob qui vient conclure ce numéro) aussi dans un monde pourri de violence. Aucun dessin ne laisse indifférent et les grandes pointures de la BD se font toutes petites pour un hommage humble et bouleversant. Parmi les nombreuses œuvres toutes vibrantes et sincères, on notera un Blutch des grands jours, fantaisiste et percutant, comparant les terroristes à des Gargamel venus venger le maudit sorcier en faisant un massacre aux studios Peyo; un Julien Neel extrêmement brillant pour expliquer la tragédie aux enfants en prenant le Père Noël comme exemple, un Obion avec un avis très critique et très personnel envers tous les dessins apparus sur la toile (et dans les pages de ce même Spirou) et se demandant « Mais où sont nos meilleurs caricaturistes? » avant de se raviser: « Ah oui merde… » ou ce dessin de Gazzotti où trois des héros de Seuls, de « cultures différentes », lâchent un « Restons unis » sans équivoque!

On notera que la rédaction de Spirou a été submergée de dessins qui n’ont pu être publiés par manque de place. Le tri, on l’imagine, fut cornélien et même certains grands de la bd comme Fabrizio Borrini, Michel Weyland, Jean-Marc Krings, Giulia Jones, Mauricet ou encore André Taymans ne furent pas sélectionnés. Certains n’ont pas trop compris pourquoi, on peut les comprendre, toujours est-il que le résultat final du numéro est parfait, émouvant et bien composé. Quant aux « non-repris », ce n’est certainement pas par faute de gage de qualité (que du contraire, et de toute façon peut-on juger du talent de ceux qui font l’effort et se font le mal de dessiner pour combattre l’innommable?), et le site internet de l’éditeur a publié chacun de ces dessins: http://blog.dupuis.com/actualites/….

Enfin est-il utile de vous dire à quel point ce numéro est collector et indispensable, pour sa panoplie de talents au service de la liberté d’expression? Pour le plaisir des yeux qu’il provoque, aussi, quitte à faire couler quelques larmes? Et on rassurera les esprits chagrins et râleurs en leur disant que NON ce Spirou n’est pas un objet de marketing sans vergogne! Tous ses bénéfices seront reversés aux familles des victimes. Bon, naturellement, comme pour les Charlie Hebdo, le numéro, en kiosque depuis vendredi, a été très vite épuisé! Pas de panique, d’un côté, votre libraire préféré pourra vous le commander sans souci, de l’autre vous pouvez vous rendre ici (http://www.spirou.com/journal/jesuischarlie.php) pour recevoir le numéro directement par la poste. Ben oui, parce qu’après le noir, le sombre, il faut se rendre la vie belle et ce Spirou est un grand signe d’espoir. Merci à tous ceux qui sont derrière ce numéro!