Ecrire est un miracle
de Paul Desalmand

critiqué par Kinbote, le 3 janvier 2004
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Les élus et les bannis
Parmi les morceaux de choix de ce recueil de textes qui rétablit quelques vérités sur le monde du livre tant dans le camp des candidats auteurs (pas tous aussi bons qu’ils le pensent) que dans celui des éditeurs (pas tous aussi corrompus qu’on le pense), j’ai d'abord retenu les 5 grands principes qui permettront à l’aspirant écrivain de gagner du temps : le principe de l’huître, ceux du mouton dévoré, de la vache crevée...
Mais aussi la défense d’un écrivain qui a tué Antoine Gallimard, une lettre de refus remarquable d’un éditeur chinois qui commence comme suit : « Auguste frère du soleil et de la lune, je m’incline humblement devant toi, je baise la terre qui soutient tes pieds et je fais appel à ta bienveillance pour m’autoriser à vivre et à parler » et qui se termine par : « Nous te retournons ton manuscrit au nom de l’ensemble de la rédaction qui voit et admire désormais à tout jamais en toi son Maître et Seigneur. »...
On trouve aussi la lettre fictive d’une étudiante américaine à Philipe Sollers envoyée du Cunilinguistic Department d’une université américaine et qui traite d’un problème de flottement terminologique sur le mot « enculer » employé par l’Intouchable de Lettres françaises dans son roman « Femmes ».... On peut lire aussi une parodie d’une explication de texte telle qu’on en rencontre dans des manuels supposés érudits à propos d’un vers attribué à Josette Mogeon, l’auteure très fictive d’ « Arenthon mon village » : « Pour qui sont ces saucissons susurrant sous la / Cendre ? »
On remarque aussi le rapport d’enquête de l’inspecteur R. Indick sur un supposé plagiat de Paul Desalmand relatif à un ouvrage d’un confrère bien réel : Renaud Ambite. On trouve une réflexion sur l’usage de la citation où il est souligné que le goût de la citation d’un Montaigne ne l’a pas empêché d’être un des écrivains les plus personnels de la littérature française. On peut lire enfin une lettre à Picasso que l'auteur a connu et qui rend hommage à la faculté de renouvellement du grand peintre. J’ai aussi noté l’extrait des Cahiers de Malte Laurids Brigge dans lequel Rilke conseille tout ce qu’il faut faire pour écrire... un seul vers.

Comme on le constate, c’est un livre très spirituel sur le monde de l’édition par quelqu’un qui connaît bien son sujet et qui est aussi un spécialiste de Stendhal, Sartre et Picasso, et que Lucien a fait découvrir aux lecteurs de Critlib
Des chroniques autour de l’acte d’écrire 8 étoiles

Laissons Paul Désalmand présenter lui-même son ouvrage :
« Tu rêves d’écrire un livre,
Tu as écrit un livre et tu aimerais convaincre un éditeur de le publier,
Ton livre est paru et tu voudrais bien en vendre plus de trente exemplaires,
Tu as connu quelque succès et tu t’interroges sur ton avenir,
Tu fais partie des quelques centaines qui vivent de leur plume,
En conséquence, tu constitues ce bon cinquième de la population qui s’intéressera à « Ecrire est un miracle ». »
Ne nous y trompons pas. Ceci n’est pas pour autant un guide de « l’écrire » ou de « l’éditer » ou de … Non, pas un guide. C’est en fait une compilation de textes, d’humeurs, de billets, « déjà parus, pour la plupart, dans des revues ou des brochures à audience confidentielle. » Et pas n’importe quels textes, billets ou humeurs ! C’est d’une drôlerie à l’image du bonhomme rencontré à l’occasion d’un Salon de la Francophonie. Faconde, ironie, absence de prise au sérieux, le genre de gars qu’il doit être difficile de coincer lors d’un débat ! Voilà un échantillon, tiré du premier chapitre intitulé : « cinq grands principes pour un jeune auteur ».

« … je vais te gratifier de quelques grands principes qui peuvent te permettre de gagner du temps :
- Le principe de l’huître se réfère à une scène que relate Jules Renard dans son « Journal ». Dînant au restaurant, il observe, intrigué, le curieux manège d’une écaillère préparant un plat d’huîtres. Celle-ci, interrogée, explique qu’elle enlève l’eau de mer pour la remplacer par de l’eau salée, puis elle ajoute : « Les clients aiment mieux ça ! » …
- Le principe du mouton dévoré renvoie à Paul Valéry pour qui le lion est du « mouton assimilé ». On insiste souvent sur le fait que l’écrivain se retrouve seul devant la page blanche, mais Valéry sait qu’il n’en est rien. Tous les grands auteurs ont été de grands lecteurs et, lorsqu’ils écrivent, ils ne sont pas seuls …
- C’est encore chez Jules Renard que je trouve une image pour illustrer le principe de la vache crevée. Dans son « Journal », cet écrivain paysan note un jour, en substance : ma vache est crevée, mais ce n’est pas trop grave ; je vais écrire une nouvelle sur la mort de ma vache et ça va me permettre d’en racheter une autre. … »
Il y a aussi le principe de l’ouragan, et celui du rhinocéros. Je vous incite à aller les découvrir …
Mais on n’y trouve pas que des principes généraux. De fort réjouissantes études syntaxiques, des récits de rencontres ou d’échanges dans le cadre littéraire (ou s’y rapportant), jusqu’à Picasso qui interviendra à la fin du recueil.
Vous le refermez (le recueil) plutôt abasourdi, un sourire flotte sur vos lèvres … Ah qu’il est bon de ne pas –totalement – se prendre, ou prendre la vie littéraire, au sérieux !

Tistou - - 68 ans - 29 janvier 2010