Aujourd'hui nous changeons de visage
de Roger Zelazny

critiqué par Ellane92, le 20 janvier 2015
(Boulogne-Billancourt - 49 ans)


La note:  étoiles
La guerre des clones
Première partie : Angelo di Negri, dit Angel, est l'ancien parrain d'une organisation mafieuse du 20ème siècle, celle que l'on appelait la Famille. Cryogénisé, il est rappelé à la vie des siècles plus tard, par son arrière-arrière-arrière-petit fils (j'ai raté quelques "arrières"). A ce moment-là, sa progéniture est toujours à la tête d'une organisation de grande envergure, mais ce n'est pas la seule à vouloir le pouvoir. Son descendant demande à Angel d'accomplir un contrat, pour le bien de l'organisation, la Famille. Il doit tuer une sorte de chercheur isolé sur une planète ultra-protégée. Pour se remettre dans le bain, pour gagner une place dans ce nouvel espace-temps, Angel accepte la mission. S'approcher du futur mort n'est pas une sinécure, mais Angel est surtout troublé des messages délivrés par sa victime : il aurait trouvé le moyen d'annihiler la violence de l'humanité.
Seconde partie : l'humanité s'est essaimée sur toutes les planètes de la galaxie. Les humains vivent dans la Maison, dont chaque aile, sur une planète différente, est reliée aux autres par des portes de téléportation, et à sa propre fonction. Les humains également ont leur propre fonction, déterminée par des machines sous le contrôle discret de la Famille, des clones d'un même individu, avec ses caractéristiques propres, et dont l'un est le Relais, celui qui a emmagasiné en sa mémoire les souvenirs et la personnalité des Relais qui l'ont précédé. La Famille surveille également les humains, veillant à ce qu'aucun n'ait d'idées controverses. Les humains ne connaissent pas plus la violence que la lumières des étoiles. Mais un certain Mr Black semble bien déterminé à mettre fin à cette période de paix jusque-là inconnue en lançant une vendetta contre la Famille !

Il est fort, ce Zelazny : on croit qu'il nous raconte une certaine histoire, par exemple une vendetta contre un pouvoir établi dans une société post-apocalyptique, et il nous amène complètement ailleurs, posant au regard du lecteur des questions plus philosophiques que la vengeance ou le pouvoir !
J'ai adoré Aujourd'hui, nous changeons de visage. Divisé en trois parties complètement inégales (la première et la troisième ne font que quelques pages), le roman s'ouvre sur une scène apocalyptique d'attaque sur une planète ultra-sécurisée. Les descriptions sont incroyables, on se croirait au cinéma ! Et puis cette première séquence se termine, abruptement et cyniquement, et il m'aura fallu (beaucoup) plus que quelques pages pour comprendre que je n'étais plus dans le même espace-temps (oui, je sais, je ne suis pas maligne, mais c'est comme ça : un Zelazny, c'est une lecture qui se mérite !).
Dans la seconde partie, nous suivons la vie, et la mort, des Relais qui se succèdent et sont victimes de la poursuite du mystérieux Mr Black. A travers leurs yeux, nous découvrons la nouvelle organisation sociétale de l'humanité, la pacification, les méthodes pour éliminer les gêneurs, le travail de berger de la Famille auprès de son troupeau d'humanité. Et au fur et à mesure, on se rend compte que nos sympathiques Relais, pas autant pacifiés que le reste des humains, ne pas sont pas si gentils et altruistes que ça. Ajoutons à tout ça des courses poursuites dans des environnements délirants, une mystérieuse jeune femme jolie et intelligente, et l'esprit retors du Relais qui, débloquant au fur et à mesure les personnalités des Relais précédents (plus archaïques) pour faire face à cette menace inattendue, on se rend vite compte que le roman dispose de tous les ingrédients pour faire un très bon livre. J'aime beaucoup le positionnement de Zelazny quant à l’inaliénabilité de la liberté des hommes à disposer d'eux-mêmes (avec toutes les limites que l'on connait), perspective que l'on retrouve également dans Seigneur de lumière. Enfin, parce que Zelazny est Zelazny et qu'il s'interroge toujours sur l'homme, ses paradoxes, sa complexité et sa complémentarité (L'œil de chat traite également de ce sujet), je ne peux qu'admirer la façon dont, une fois encore, il symbolise cette multiplicité.
Dans Aujourd'hui, nous changeons de visage, Zelazny manipule son lecteur, en jouant sur l'espace-temps et les personnalités de son/ses personnages. Il lui présente un tas de petites pièces qui ne se mettront à leur place que dans les dernières pages, et lui laisse une grande liberté de compréhension et d'interprétation. C'est une lecture un peu exigeante certes, mais très intéressante pour les questions qu'elle soulève, sans compter que le récit, très maîtrisé, foisonne d'actions et de rebondissements ! Excellent !

Malgré ce que les romanciers voudraient nous faire croire, la vie ne pivote pas essentiellement sur un axe de crises cycliques. S'il est exact que nous sortons parfois de certaines épreuves avec une interprétation toute neuve de la réalité et du miracle de l'existence, cet état d'esprit disparaît très vite, nous laissant, ainsi que la réalité, inchangés une fois de plus.

Je considère la Maison comme une impasse évolutive pour la race humaine. Nous avons créé un environnement statique, immuable, auquel l'homme doit s'adapter s'il ne veut pas sombrer. Etant de nature une forme de vie permanente et adaptable, il n'a pas été englouti. En l'espace de quelques siècles, il a considérablement changé.

- As-tu l'intention de le ramener ici pour un interrogatoire ?
- Mon but est plus modeste, répondis-je en hochant la tête. J'ai la ferme intention de le tuer, ce salaud.