Une petite ville du Nord de l’Albanie, un dimanche, quelques années après la chute de la tyrannie communiste. Ce moment où tout est possible, où tout est incroyable, où la modernité le dispute aux rites ancestraux et coutumiers. Un monde qui a du mal à trouver un nouvel équilibre après l’angoisse de la dictature.
Ce roman commence comme une histoire sentimentale, joliment sensuelle. Mark est peintre, il fait le portrait de son amie, « tous deux [feignant] de en pas savoir pour quoi elle se dénudait : pour poser ou pour faire l’amour ». Il a peur qu’elle le quitte ; elle garde son mystère.
Pourtant quelques petits faits troublent ce moment voluptueux dans ce paysage apparemment apaisé. Pourquoi a-t-on trouvé un serpent mort dans la rue ? Pourquoi la banque d’Etat a-t-elle été braquée et par qui, même si l’évènement est qualifié de « chic…comme quelque chose d’occidental ».
Changement de décor au chapitre suivant qu’Ismail Kadaré appelle « contre chapitre ». Le romancier devient conteur en évoquant la légende d’une famille où une terrible faute ne pouvant être rachetée que par un sacrifice, le père avait condamné sa fille a épouser un serpent, évitant ainsi une nouvelle vengeance dans le sang. Au matin qui suit la nuit de noces, chacun épie la jeune épousée. Ravie, heureuse épanouie. Personne n’y comprend rien. Quatre mois plus tard, la femme sort de sa chambre en larmes, le serpent a disparu. On saura beaucoup plus tard, par l’indiscrétion d’un confesseur, que le serpent était en fait un homme purgeant une peine plusieurs heures par jour sous la forme d’un serpent, avant de retrouver pour retrouver dans la nuit son apparence humaine et ainsi aimer celle qu’on lui avait donnée pour femme. Mais celle-ci voulant le garder continuellement avec elle avait profité de son sommeil pour brûler la peau de serpent. L’homme était perdu, la femme réduite au malheur et à la solitude.
Ces deux histoire, séparées par la nuit des temps, laisse espérer un conte fantastique de la meilleure facture. Hélas, après ce brillant début, Kadaré se perd et nous perd dans une histoire de vengeance dont on ne sait pas grand-chose. On y parle de vol, qui expliquerait toute la marche du monde, du vol du feu chez les dieux de l’Antiquité au braquage de la banque d’Etat. On y parle d’archives secrètes de l’Etat qui seraient entreposées près de la ville et que serait venu consulter un haut dignitaire du régime aboli. On y parle surtout du kanun, règle coutumière définie sous l’empire ottoman qui veut que tout sang versé soit repris par le sang selon une forme ritualisée de la vendetta. Les communistes avaient réussi à contenir ce kanun, sorte de « cadastre des morts », en brûlant les archives du prince parmi lesquelles ce livre de sang disaient-ils quand d’autres affirmaient au contraire qu’il avait été protégé. Toujours est-il qu’en ces temps troublés où se crée même une « Association post-pessimiste », les vieux rites ressurgissent et une vengeance sera assouvie après un demi-siècle de trêve. Même si les intégristes se désolent que les règles ancestrales n’aient pas été strictement respectées, ce retour à des us et coutumes les plus sanglants et les plus inhumains apparaît comme un déni d’une démocratie inadaptée. Un habitant de la ville en sera la victime expiatoire, tué par un jeune idéaliste radical, frère de la belle amie de Mark. Le cycle infernal de la vendetta, dont l’Albanie fut historiquement un des hauts lieux, va-t-il se remettre en branle ou bien l’Etat démocratique va-t-il pouvoir l’arrêter ? Eh bien non car ce serait contraire à une directives du Conseil de l’Europe ! Le destin est toujours inexorable, le bien et le mal restent toujours des notions relatives, malmenées par les superstitions.
L’Albanie n’en a décidément pas fini avec sa vendetta, son passé et ces fleurs froides d’avril sont déjà fanés.
Tout ceci m’a paru bien compliqué, parfois incompréhensible pour qui, comme moi, n’est pas familier de la culture albanaise. Ce roman mêle trop de concepts différents pour permettre l’évasion et susciter l’imagination du lecteur. Il est souvent confus comme l’époque qu’il décrit.
Kadaré a probablement voulu décrire ce moment difficile et incertain où la démocratie est encore vacillante. Mais il l’a fait trop vite et avec le tissu d’une histoire qui manque d’épaisseur après un très joli début. C’est bien sûr un grand écrivain et il manie l’ironie avec un grand talent mais ici ce n’est pas suffisant pour donner chair et vie à cette histoire.
La quatrième de couverture parle de chef d’œuvre. Voilà qu’une fois encore je me suis fait prendre au piège de l’abus de langage d’un éditeur rusé.
« Il n’y a jamais de fin pas plus qu’il n’y a de véritable commencement », écrit justement Kadaré. Mais c’est aussi malheureusement vrai de ce livre. Dommage.
Mais ce n’est que mon avis !
Jlc - - 81 ans - 6 janvier 2007 |