Au pays du Maramures
de Dumitru Tsepeneag

critiqué par Pucksimberg, le 14 novembre 2014
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Un roman décalé d'un grand auteur, malheureusement peu lu ...
Dumitru Tsepeneag est un écrivain très célèbre en Roumanie, qui vit à Paris depuis quelques décennies. Sous Ceausescu, avec Leonid Dimov, il ose s'opposer au réalisme socialiste auquel cède un grand nombre d'auteurs, en donnant naissance au mouvement littéraire de l'onirisme, seul mouvement parvenant à s'affranchir durant cette dictature. La plupart de ses romans sont publiés chez P.O.L. et méritent vraiment tout l'intérêt de lecteurs exigeants et prêts à découvrir une oeuvre originale où l'on suit les aventures de personnages tout en recevant les confidences de l'auteur sur son roman qu'il est en train de rédiger. Avec Tsepeneag, on a le spectacle et les coulisses. Le lecteur voit l'envers du décor et s'en amuse car cela fait partie du jeu.

Dans "Au pays des Maramures", il est question d'un petit tableau de Fra Angelico qui vient d'être volé par un célèbre voleur Gigi Kent. Mais l'on suit aussi toute une floppée de personnages roumains, expatriés aux Etats-Unis ou en France, à Paris, qui se retrouvent progressivement mêlés à cette affaire. On a tendance à se perdre parfois avec tous ces personnages. J'ai ressenti souvent la tentation de prendre un calepin et un crayon pour noter des informations sur les personnages. Il y a donc un écrivain, un homme en fauteuil roulant accompagné d'une femme voluptueuse, un couple qui ne cesse de se chamailler et leur neveu, un couple gay, une femme hospitalisée qui ne cesse de rapetisser et plein d'autres individus au caractère bien trempé.

Ces personnages évoquent leur Roumanie lointaine, surtout la région des Maramures, leur littérature, le football, le trictrac, les cours hippiques, les magouilles ... L'on ressent souvent le mal être du pays de ces personnages vivant dans un pays qui ignore tout de la Roumanie, à un point même inquiétant, tant l'Occident semble ignorer l'Est. Truculentes sont les remarques de l'auteur ou de son double dans ce roman lorsqu'il évoque Stefan Zweig auteur surestimé selon lui, les surréalistes et certaines de leurs erreurs, l'autofiction, l'autodérision dont il fait preuve quand il parle de lui-même. Il s'agit tout de même d'un auteur qui figure déjà dans les anthologies littéraires roumaines, vivant, que peu de lecteurs connaissent. Et il en plaisante même dans ses romans sans aucune rancœur !

Dans ce roman, le lecteur rit car certaines situations sont vraiment grotesques, sa curiosité est piquée quand il est question de réflexion sur la Roumanie, la France ou tout simplement le monde. Et les remarques de l'auteur sont loin d'être naïves. Certaines scènes sont mémorables quand il est question des femmes, quand est narré un mariage dans les Maramures accompagné de fanfares tziganes. Le roman se déroule lors du Mondial de football en France et les matches ne se déroulent pas exactement comme dans la réalité puisque la France viendra à affronter la Roumanie en finale et non le Brésil. Dumitru Tsepeneag s'amuse avec le réel, avec sa propre identité pour engendrer un roman aux frontières des genres. Ce qui l'intéresse dans les rêves, c'est la structure même onirique et cette organisation, il la transpose dans ses romans.

Un roman original et décalé qui s'interroge sur la narration.