Le Palais des rêves
de Ismail Kadare

critiqué par Jules, le 2 février 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Un livre passionnant, bien écrit,
Un livre tout à fait surprenant et inquiétant. Le pouvoir a déjà pensé à surveiller et interpréter les rêves des citoyens ?.
Impossible !… C'est pourtant ce que Kadaré a inventé ici. Nous sommes dans l’énorme bâtiment qui abrite les fonctionnaires de l'administration et de l’interprétation des rêves. Notre héros, Mark-Alem, en fait partie. Il est issu d’une grande famille, mais n'est encore qu'à un échelon assez bas de ce vaste ensemble de personnes.
Chaque jour qui passe, les citoyens du pays doivent envoyer leur rêve éventuel à l'administration. L'échelon tout en bas est inondé sous le poids des lettres et doit faire un premier tri. Il ne s’agit évidemment pas de transmettre n'importe quoi à l’échelon supérieur, sous peine de passer pour un idiot. Mais gare si un rêve important échappait à la vigilance de son lecteur ! L’échelon supérieur examine plus en détail les résultats de ce premier tri et doit décider si quelque chose mérite de passer une nouvelle étape. Un choix encore plus difficile !… Nouveaux échelons et tris de plus en plus serrés.
Le but du pouvoir au-dessus de tout cela est de tenter, par l’inconscient des sujets, de contrôler les pensées et de devancer, si possible, des tentatives de complots ou de rébellion contre le chef suprême. L'interprétation des rêves devient un acte politique. Le choix " du rêve " considéré comme digne d’être transmis au chef suprême est aussi une décision qui comporte de lourdes responsabilités personnelles. Ce choix peut coûter la vie à beaucoup de monde. Le plus terrible est que ces interprétations ne peuvent qu'être subjectives. Chacun devine, croit deviner, qu’en fonction de ce qu'il veut bien y voir !. C’est l’arbitraire absolu et le sort de beaucoup entre les mains de quelques-uns uns.
Un très grand roman et très bien écrit. Il donne froid dans le dos aux plus imaginatifs. Une fois le livre ouvert, on est captivé.
Le Château ? 8 étoiles

Le palais des rêves est une structure complexe qui gère, classe, analyse, décortique les rêves de la population.
Ismaïl Kadaré, sans doute involontairement, a réussi à recréer l'ambiance du Château de Kafka. Il y a tout au moins des similitudes.
Tout à fait hors du temps (juste quelques détails distillés au compte gouttes), mais avec une intrigue qui parvient à tenir le lecteur en éveil tout au long de son parcours.

Excellent.

Monocle - tournai - 64 ans - 2 mars 2016


Inoubliable... 9 étoiles

Dans une lointaine contrée, dans une époque indéterminée, un puissant monarque fait collecter tous les rêves de ses sujets, et ceci chaque jour. Le personnage principal est admis à entrer dans l'administration qui traite ce flot de données. Il entre au palais...

J'ai été marquée par ce roman, d'abord par l'originalité du propos. Ensuite, ce qui m'a surprise, c'est que, sur le sujet du rêve, le livre est écrit comme un rêve. C'est donc assez fort, je trouve. Et en plus, il y a une ironie, une dérision, un tragique dans l'intrigue... C'est un thème qui est universel, même si là il est traité selon l'axe du totalitarisme. Les rêves, n'est-ce pas ce qui nous relie tous ? Quand on voit la prégnance des écrans à l'heure actuelle, quand on sait que les ondes cérébrales lorsque on regarde un film sont très proches de celles du rêve... L'auteur aurait pu parler de tout ça hors contexte de totalitarisme. Certes, ça aurait donné une autre tournure au récit. Mais cette idée d'analyser les rêves aurait à elle seule justifié le roman. Quant à ce palais labyrinthe, cette hiérarchie mystérieuse...

J'ai lu le livre il y pas mal d'années, mes souvenirs sont un peu flous. Mais d'en parler me donne envie de le relire. C'est, en tous cas, un roman très abouti et passionnant. Pour l'instant, le seul que j'aie lu de cet auteur.

Natalia Epstein - - 43 ans - 14 novembre 2015


Un roman magistral, à l'atmosphère oppressante 10 étoiles

Le palais des rêves est un roman extraordinaire, dont l’action se situe dans une dictature musulmane non datée et non circonstanciée, qui est une sorte d’émanation de l’empire ottoman du XIXème siècle mais dont la superficie à cheval sur les continents fait songer à l’URSS. Le narrateur, jeune homme issu de l’illustre famille Quprili d’origine albanaise, qui a fait le choix de servir l’administration du sultan, est recruté au Palais des Rêves (Tabir Sarrail) dont il va gravir progressivement tous les échelons sans jamais vraiment comprendre le fonctionnement de cette organisation tentaculaire, qui possède des ramifications dans toutes les provinces impériales et dont les buts, certains très secrets, sont de déceler, dans les rêves retranscrits dans tout l’empire, les signes précurseurs des troubles à venir. Chaque vendredi, un rêve est sélectionné comme maître-rêve puis présenté au sultan. La famille Quprili, malgré son rang social, en payera le prix, au cours de scènes extrêmement fortes et parfois cruelles (notamment la soirée où se produisent les rhapsodes albanais). En même temps qu’il évoque la répression de toutes les affirmations identitaires, Kadaré ressuscite les thèmes récurrents de son œuvre sur les légendes (notamment le pont aux trois arches scellé sur un sacrifice humain) et l’âme de l’Albanie…

Le talent de conteur d’Ismael Kadaré est ici absolument prodigieux, par sa capacité d’évocation d’un univers complexe et menaçant, où des complots sont sans cesse ourdis dans l’ombre, où des victimes innocentes périssent de luttes intestines et feutrées qui explosent soudain dans un déchaînement de violences policières… La description du Palais des Rêves, de ses longs couloirs déserts et labyrinthiques, de ses salles d’archives regorgeant des millions de rêves consignés dans les dossiers entassés, de ses fonctionnaires suspicieux, de son organisation à la fois folle et minutieusement réglée, etc. est fascinante : on ne peut s’empêcher de songer à la bibliothèque infinie de Borges aux mains d’une administration kafkaïenne (ou, même si la comparaison est peut-être moins prestigieuse, à certaines œuvres des frères Strougatsky construisant, sous une apparence de science-fiction, des univers totalitaires broyant les individus).

Des quatre romans que j’ai lus de Kadaré, celui-ci est pour l’instant mon préféré. J’ai, à plusieurs reprises, raté ma station de métro tant j’étais immergé dans ma lecture… Par son talent d’écriture (qui est ici manifeste dans l'intelligence des non-dits et le parfait équilibre entre la description explicite et la suggestion) et par sa compréhension subtile de l’essence des dictatures, qui lui permettent dans un court récit d’en dire davantage que bien des romanciers ou des essayistes, il me semble que Kadaré (que certains écrivains et critiques en France se permettent de considérer comme un simple très bon conteur d’histoires) aurait largement mérité le prix Nobel.

Eric Eliès - - 49 ans - 5 juillet 2015


Passionnant et affolant 10 étoiles

Ebu Erim (le nom du protagoniste dans la version que j'ai lue en néerlandais) obtient un travail dans le Palais des rêves, il y monte tous les échelons et ne comprend toujours pas comment ce modèle de contrôle des pensées des citoyens fonctionne. Un livre que l'on ne lâche pas quand on l'a commencé. Fascinant et effrayant par son mystère et sa description du brouillard dans lequel le peuple est conduit par le pouvoir en place au gré d' interprétations toutes les plus personnelles que les autres des rêves qui y sont filtrés, interprétés et sélectionnés pour éclairer le pouvoir. Il n'y a pas une vérité, mais des vérités qui s'annulent et se détruisent et qui détruisent même parfois ce que l'on a de plus cher.
Aussi une défense de l'autre pensée et un renvoi indirect à la situation dans les Balkans et dans des régimes dictatoriaux. Toujours d'actualité.

Printemps - - 65 ans - 7 novembre 2010