Bunyip
de Louis Carmain

critiqué par Libris québécis, le 7 novembre 2014
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'Apocalypse Now de la Papouasie
Qu’un Tasmanien soit le héros d’un roman est un phénomène plutôt rare. Richard Flanagan, qui est né en Tasmanie, a fait connaître son île avec Dispersés par le vent (http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/3753). C’est La Fureur et l’Ennui qui lui a assuré une renommée mondiale. Ce roman ressemble à Bunyip de Louis Carmain. Dans les deux œuvres, une femme devient terroriste afin de soutenir la Cause.

Bunyip met d’abord le focus sur Timothée, un reporter photographe tasmanien qui reçoit la mission de sa revue d’aller en Papouasie, pour figer sur pellicule les vestiges d’une frégate japonaise qui a sombré il y a 40 ans près de l’île de Bougainville, une île qui porte le nom de l’explorateur qui l’a découverte après avoir bourlingué en Nouvelle-France. C’est le lien trouvé par l’auteur pour relier son roman à tous les problèmes sociaux du monde. Que l’on soit québécois ou papoue, on affronte des situations similaires. Les deux peuples doivent se libérer du joug des entreprises ou des effets de la mauvaise gestion de l’administration publique, souvent corrompue et insensible au réchauffement climatique, qui menace de disparition les atolls du continent australien.

Timothée arrive à Awara en Papouasie pendant que sévit une rébellion. Guidé par Viviane, une Papoue d’origine taïwanaise qu’il a rencontrée dans un hôtel, il est vite intercepté par des guérilleros dirigés par Pisin. Ce dernier est particulièrement heureux d’accueillir cet hôte de marque à qui il dit : « C’est le destin qui vous envoie. » Timothée de répondre : « C’est l’horreur qui me reçoit. » Déjà mijote un plan dans la tête du chef révolutionnaire. Pour le soustraire à sa captivité éventuelle, Pisin lui propose de le mener au site où se décompose la carcasse de la frégate naufragée s’il accepte de réaliser un reportage photos favorable au combat qu’il mène. La proposition est à considérer s’il veut éviter la torture et la mort qui caractérisent souvent les organisations militantes.

C’est la part d’ombre de ces groupes paramilitaires qui réduisent au silence tous les individus susceptibles de devenir leurs victimes. Viviane et Timothée se voient ainsi contraints à donner leur aval à des rebelles, dont les moyens mis en œuvre pour atteindre leur but appartiennent au monde du mal. Louis Carmain perpétue le manichéisme opposant « l’ombre et la lumière », dirait Marie-Claire Blais. Il soumet ses protagonistes au supplice de l’entre-deux. Pris entre l’arbre et l’écorce, il n’est pas toujours facile de démêler les arguments fallacieux des belligérants de la vérité. Et au fond, le moi ne serait-il pas formé de ces deux forces antagonistes ? Le pacifisme s’use au contact de la violence que manifeste, en l’occurrence, Bunyip, le monstre légendaire, tel le Wendigo du Québec, qui entraîne la population australe au cœur d’un genre d’Apocalypse Now.

Le récit est plutôt simple. Un photographe est fait prisonnier par un groupe rebelle. Ce qui valorise cette œuvre, c’est l’atmosphère, souvent sensuelle, que crée l’auteur à travers les labyrinthes du terrorisme. Il rend compte de toutes les facettes du bloc apparemment monolithique de l’être humain, qui se craquelle pourtant devant l’emprise du mal. C’est dans une langue belle restreinte aux initiés que Louis Carmain suit les traces de Malraux. Par économie, il réduit trop la syntaxe à sa plus simple expression comme dans cette phrase qui montre un Timothée attentif aux charmes de sa guide : elle « s’assit jambes croisées position révélant mollets et hauts fonds dont se méfier ». L’ellipse ne produit pas toujours un bel effet. Il reste que l’on sent que l’auteur a accordé une importance capitale à son écriture, sans toujours atteindre la cible du lecteur.