Dust : Au coeur de ce pays
de J. M. Coetzee

critiqué par Darius, le 3 décembre 2003
(Bruxelles - - ans)


La note:  étoiles
Mémoire d'une jeune fille dérangée
Depuis que le prix Nobel de littérature lui a été décerné, la petite bibliothèque de mon quartier a ressorti des oubliettes et de la poussière quelques-unes des oeuvres de J.M. Coetzee. J’en ai profité pour me plonger dans « Au coeur de ce pays », rédigé en 1977, dont un film a été tiré sous le nom de « Dust » avec Jane Birkin dans le rôle principal.
L’histoire en est pour le moins désarçonnante.
Magda, la petite fille mal aimée d'une mère morte en couches et d’un père coureur de jupons, est devenue une vieille fille maigre et revêche, désespérément vêtue de noir, une arme à la main.
Pour se défendre de quelconque rôdeur ?
Pour protéger le diamant qui dort entre ses - f...s de bigote - comme l’a si joliment chanté Jacques Brel ?
J'opte plutôt pour une 3ème raison : assassiner son père qui utilise trop souvent à son gré son droit de cuissage sur les servantes du domaine.
On entre de plain pied dans l’histoire dès le début du livre.
Magda déteste le nouveau bonheur de son père qui vient de ramener à la maison la femme qu'il vient d’épouser.
"Mon père gît sur le dos, nu ; sa main droite et la main gauche de sa compagne sont entrelacées. Sa mâchoire est relâchée. Les paupières cachent la foudre des yeux sombres. Un crépitement liquide monte de sa gorge. Le poisson aveugle, cause de mes malheurs, repose mollement entre ses jambes. Je voudrais qu’il ait été extirpé depuis longtemps avec ses racines et ses excroissances !
La hache monte au-dessus de mon épaule. Ce geste : nombreux sont ceux qui l'ont accompli avant moi : épouses, fils, amants, héritiers, rivaux. Je ne suis pas seule. Entraînée par son poids, l'arme descend au bout de mon bras comme une boule au bout d’une ficelle, s'enfonce dans cette gorge qui s’offre à moi. Soudain tout est tumulte."
Il faut à présent qu’elle se débarrasse de deux cadavres avant l’arrivée des serviteurs.
A partir de là, le bouquin dérape. Elle se remémore sa vie de petite fille recluse, ses relations chaotiques avec son père, dur et autoritaire, l'arrivée d'une nouvelle servante noire lorgnée par "le baas" comme on l’appelle chez les Afrikaners. Et puis, à nouveau l’assassinat du père, avec un fusil cette fois.
On se frotte les yeux. On revient en arrière. A-t-on manqué un passage ? Est-il ressuscité sans crier gare ?
Le livre n’est en fait qu'un long monologue d'une jeune fille dérangée, mais écrit avec un tel talent que le jury du prix Nobel n'a pu ignorer plus longtemps.