Augustin ou le maître est là
de Joseph Malègue

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 3 janvier 2015
(Ottignies - 88 ans)


La note:  étoiles
Un chef d’œuvre ressuscité
C'est un livre magistral et un tout grand classique. Il a été publié en 1933 et a connu son heure de gloire avant de sombrer dans l'oubli. À sa publication, les critiques avaient vu en lui le chef-d’œuvre absolu de la littérature chrétienne. Et pourtant ce livre n'a rien d'un roman écrit à l'eau bénite pour les petits enfants du catéchisme.

Il raconte la vie d'un homme qui a perdu la foi de son enfance en cherchant Dieu dans la spéculation intellectuelle et le rationalisme.
Augustin est issu de « la petite bourgeoisie catholique de province, à la fois cultivée et pauvre ». C'est un enfant bien doué, un « premier de classe », qui à force d'application, arrive au plus haut poste à l'université de la Sorbonne.
Ses connaissances religieuses l'ont amené à écrire des exégèses bibliques qui font référence en la matière ; mais le culte de la raison et de la pensée positiviste, à la mode en cette époque dans les universités, finissent par le faire douter ; et, à force de spéculer sur les valeurs intellectuelles du christianisme, il en arrive à se fermer ce que Pascal appelait, le cœur.

Ce thème est passionnant et bien d'actualité. Mais l'action est très lente : le personnage d'Augustin apparaît à travers ses pérégrinations qui le font voyager dans la campagne profonde, parmi les paysans et les marchants de bestiaux ; à Paris, où il côtoie ses camarades d'école ; à l'université où il est un maître reconnu, et puis... en visite au château où il rencontre une jeune fille envoûtante.

Outre la profondeur du sujet, ce qui fait tout le charme de ce livre c'est son style. On a dit de Malègue qu'il était le Proust chrétien. Et, en effet, son style rappelle Proust mais avec plus de profondeur. Proust parle d'un monde superficiel et volontiers frivole, avec des observations qui vont de module en module dans un incessant rebondissement ; mais ses portraits psychologiques s'arrêtent au niveau des sensations, alors que Malègue décrit des personnages de la vie courante, avec des rebondissements qui aboutissent toujours au plus profond de la réalité des êtres.

Personnellement, j'ai trouvé ses descriptions et ses mises en situation encore plus belles que celles de Proust. Quand, par exemple, l'élégante châtelaine reçoit son beau-frère qui est arrivé en retard et lui tend la main pour le baise-main, la scène s’étale sur une demi page, mais elle est d'une saveur incroyable. On voit les personnages évoluer, sans que jamais ils ne soient décrits physiquement, et le lecteur perçoit leur psychologie et les imagine, bien mieux que s'il ne les voyait.

Tous les grands thèmes de la condition humaine sont abordés dans ce roman : la foi, le doute, la connaissance, la liberté de conscience, la souffrance et la mort, et puis... l'amour ! l'amour fou qui vous chavire une existence.

C'est un livre d'une profondeur et d'une beauté sublime. Il est d'une lecture facile tant il est bien écrit mais l'action est très lente et l'histoire est très longue. Cependant, je suis sûr que le lecteur qui prendra son temps, sera sous le charme de ce superbe roman et, même s'il l'abandonne de temps en temps en cours de route, il le reprendra toujours, jusqu'à la fin, tant c'est un chef-d’œuvre absolu de la littérature française.
Superbe, grave, profond, puissant, inattendu 10 étoiles

Voilà, j’ai fini la lecture de l’imposant roman de Joseph Malègue : « Augustin ou le maître est là ».

C’est un chef d’œuvre en son genre, un très grand roman. C’est surtout la seconde moitié du roman qui est émotionnellement et esthétiquement puissante. Ah ces page superbes sur l’amour et tragiques sur la mort, à la fois dures et douces ! Ce qui ne veut pas dire que la poésie et la profondeur sont absentes de la 1ère moitié, au contraire.
C’est très lent et long à lire. Il faut accepter de prendre son temps si on veut pénétrer l’œuvre et le lire jusqu’au bout. Cela en vaut la peine, car tout est admirable dedans.

L’écrivain construit patiemment son œuvre pour arriver au dénouement final, dont personnellement j’ai trouvé qu’il est arrivé trop vite. Tout ça pour ça ? La fin, c'est-à-dire la façon dont Augustin s’est converti, a accepté de croire en Dieu et d’être en Sa présence ne m’a pas convaincu sur le coup. Cela m’a paru trop rapide, trop abrupt. Mais après tout, pourquoi pas. Peut-être qu’au fond de lui, il y a toujours cru ou su et qu’il ne lui manquait en fait que d’y être poussé pour pouvoir se laisser aller enfin en sa conviction profonde, mais cette hypothèse me paraît être plutôt démentie par les longues et patientes analyses de l’âme d’Augustin par Malègue. Et il n’y a pas qu’Augustin qui soit un personnage intéressant, c’est tout un monde que révèle Malègue, avec un étonnant talent. Il n’y a pas beaucoup d’écrivain capable d’écrire les mouvements de l’âme et du cœur avec autant d’acuité, de profondeur et de minutie et qui semblent toujours justes sous sa plume.

Comme bémol (mais en est-ce vraiment au vu des thèmes abordés ?), je dirai que « Augustin… » est un livre plutôt grave, d’où est absent légèreté et humour, ou alors à de rares touches ici ou là. Tout y est sérieux, à l’image de la personnalité de son auteur peut-être.

Quant au style, c’est un écrivain qui a tout à fait le sien propre. On a dit qu’il était le Proust chrétien et de fait on a comparé son écriture et son œuvre à ceux de Proust. Personnellement je trouve qu’ils se ressemblent moins entre eux qu’à première vue, Malègue a vraiment son style à lui, une poésie et une analyse qui lui est propre, avec toutefois des tournures un peu anciennes. C’est pour moi la marque d’un très grand écrivain. Il est étonnant qu’il soit tombé dans l’oubli, au vu de la qualité littéraire de l’œuvre et de sa profonde originalité.

Bref, une lecture riche, dense, parfois difficile, au vocabulaire relevé, avec des problématiques qui ne sont peut-être plus de notre temps et qui demande du lecteur patience et attention. La récompense en est le plaisir à lire de l’intelligence et de la beauté, comme avec Proust, quoique je trouve Proust encore supérieur dans la dissection et la prose.

Cédelor - Paris - 52 ans - 11 septembre 2015