Petits oiseaux
de Yôko Ogawa

critiqué par Myrco, le 12 octobre 2014
(village de l'Orne - 75 ans)


La note:  étoiles
Une plume délicate...
Très jolie découverte pour moi que celle de Yôko Ogawa qui nous fait pénétrer, d'une écriture toute en délicatesse et subtilité, dans un univers parfois aux confins du réel, en marge de la normalité, là où la différence est moins handicap que richesse, accès privilégié aux codes secrets du monde magique des oiseaux et des sons ou des objets qui ont une âme.

Le roman s'ouvre sur une scène qui s'avèrera située dans le prolongement direct de la scène finale: la découverte du corps d'un homme d'un certain âge, mort sereinement chez lui, serrant sur son cœur la cage d'un petit oiseau au chant magnifique, un petit oiseau qui va retrouver la liberté promise. La tonalité est donnée...entre douceur mélancolique et ouverture fascinante sur un monde de beauté, de fragilité et d'amour.

Dès lors, le roman va dérouler la vie de cet homme solitaire dont toute l'existence aura été déterminée par le handicap de son aîné. Celui-ci, en effet ne parlera jamais comme les autres, et le psycholinguiste chez lequel leur mère, battante obstinée et aimante, l'emmènera, émettra un diagnostic méprisant et sans appel qui scellera le rejet définitif de la société à son encontre: "Ce n'est pas un langage (...)ce sont des parasites".
Pourtant ce langage "si inventif, si libre et si joli", appris à l'écoute des oiseaux dont le grand frère "disait" qu'ils "ne font que répéter les mots que nous avons oubliés", au fil des heures passées à les contempler dans la volière du jardin d'enfants, ce langage, le cadet, lui seul, le comprend parfaitement.
A la mort des parents, il va veiller sur l'aîné, le protéger, avec dévouement, sans frustration, dans une acceptation sereine. Entre son travail de régisseur d'une villa et leur nid à deux, jalousement gardé contre les atteintes de l'extérieur, il va organiser leur vie, une vie de repli régie par des rituels bien codifiés, immuables, de manière à ne pas perturber le fragile équilibre de ce frère aimé; ainsi le rituel des voyages... imaginaires.
Et puis un jour, des décennies ont passé et ce frère s'éteint. Le plus jeune devient alors le "monsieur aux petits oiseaux" perpétuant la mémoire de son frère en entretenant scrupuleusement la fameuse volière et se réappropriant l'univers et la passion de ce dernier...

Ce pourrait être infiniment triste que cette relation d'une vie sans horizon apparent, du moins telle que nous pourrions la percevoir du haut de notre "normalité", une vie qui semble parfois s'ouvrir à la faveur de quelques rencontres, mais qui va générer la suspicion d'une société conventionnelle prompte à ostraciser les comportements marginaux: le "monsieur aux petits oiseaux" solitaire, introverti en fera les frais lui aussi.
Mais Yôko Ogawa réussit la prouesse de nous entraîner de l'autre côté du miroir, là où cette fermeture sur l'extérieur s'accompagne au contraire d'une ouverture sur quelque chose d'infiniment plus lumineux, un monde de la vraie communication harmonieuse comme aux matins rêvés des origines, un monde où le chant et le gazouillis des oiseaux,"la pierre brute des mots", relie les êtres beaucoup mieux que le langage articulé des humains, un monde d'amour pur et de compréhension.
Ogawa a un sens remarquablement juste et imaginatif de la notation, de l'idée qui vont porter, transmettre sa perception des choses, que ce soit son regard attentif, bienveillant et presqu'émerveillé sur la différence ou cette sensibilisation au temps qui passe, à l'inéluctabilité de l'anéantissement qu'elle voudrait, semble-t-il, gommer , ou tout au moins suspendre, figer par le culte de la mémoire et du souvenir comme l'empreinte du corps de l'aîné demeurée dans le grillage de la volière.
Et que dire de cette prose, à la fois sobre et d'une étonnante précision, de cette indéniable poésie des images rencontrées au fil des pages, si ce n'est qu'elles m'ont totalement conquise ?

Un moment de grâce, une auteure à laquelle je reviendrai sûrement.