J'ai tué
de Mikhaïl Boulgakov

critiqué par Saule, le 14 novembre 2003
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
Pour découvrir un classique russe
Avec ces courtes nouvelles je découvre un personnage fascinant. Boulgakov était médecin. Lors de la guerre civile russe de 1920 il est enrôlé de force et est témoin de l'horreur de la guerre, horreur qui est à l'échelle de ce gigantesque pays qu'est la Russie. Il abandonnera ensuite la médecine pour se consacrer à l'écriture. Il sera censuré et ne connaîtra pas le succès de son vivant mais il est considéré maintenant comme un des classiques russes. Ce petit livre de nouvelles, faciles à lire malgré le sujet, me semble idéal pour découvrir cet auteur.
Elles claquent comme un coup de fusil dans la froideur d'un hiver russe. Boulkakov fait partie de ces écrivains qui apportent la fureur bestiale des hommes, le grondement des canons, les tempêtes de neige et de froid dans notre quotidien. Par exemple : trois sentinelles d'un poste de garde en Ukraine. Nuit sombre, tempête de neige, le poitrail d'un cheval surgit devant une des sentinelles, un soldat ennemi ls traite de Youpin, elle reçoit un coup de crosse dans le visage,.. à la peur et la douleur s'entremêle une image d'avant la guerre, celle d'une aquarelle au coin du feu. Plus tard cet homme brisé raconte son expérience lors d'une réunion de camarades ouvriers. La nouvelle "J'ai tué" est très significative. Un médecin intelligent et sensible est spectateur d'exactions et de brutalités qui le pousse à passer à un acte inimaginable en temps normal pour un intellectuel. Ensuite il y a le frère ainé qui sombre dans la folie suite à la mort de son frère cadet, il y a le prince déguisé, revenu d'exil, qui visite son ancien palais avec un groupe de visiteurs peu respectueux,...
Nouvelles de guerre civile 8 étoiles

Ce petit recueil de nouvelles largement autobiographiques (on pourra saluer l'initiative prise par Le Livre de Poche d'introduire chacune d'entre elles par une petite notice la liant à la vie de l'auteur et/ou aux thèmes principaux de son oeuvre) nous entraîne dans la tourmente de la guerre civile en Ukraine, alors que l'URSS n'est encore que balbutiante.
Dans trois des nouvelles qui constituent le coeur du recueil, on verra donc s'affronter Bolcheviks et troupes nationalistes de Petlioura en toile de fond du destin des hommes qui en sauront les acteurs. Parfois, cet affrontement rend fou ("La Couronne Rouge"), parfois il est sauvage, comme cette attaque par l'armée ukrainienne de trois sentinelles Blanches ou Rouges - on ne sait pas. Cette nouvelle, "Le Raid", est saisissante de violence, non pas tant dans la description des sévices subis par les trois pauvres sentinelles, mais bien, plutôt, dans le style elliptique utilisé par l'auteur. C'est quasi-cinématographique, à l'image de ces têtes de chevaux qui surgissent de la brume ou de ces gros plans sur les jambes, les bustes qui traversent succinctement le rayon de lumière émis par une lampe à pétrole.

Au coeur du recueil, "J'ai tué" est admirable. Boulgakov aborde le thème ô combien intéressant de l'intellectuel qui, révolté par ce à quoi il assiste, décide de passer à l'action. Il est troublant de voir ce dandy intellectuel raconter à ses confrères avec le plus grand calme, avec - presque - fierté, qu'il a tué, et que ses connaissances médicales ne laissent planer aucun doute sur la question. Plus que jamais, le génie - ou du moins l'intellectuel - apparaît comme le cousin de l'assassin, reprenant ainsi un thème cher à Mann.

La première nouvelle du recueil, elle, se démarque un peu de ce contexte de guerre bien que la guerre civile et sa répression se trouvent en filigranes dans cette histoire de prince en exil qui revient incognito visiter son ancien palais. Là encore, folie et meurtre sont à fleur de peau dans un société déstabilisée.

Les deux dernières nouvelles se distinguent du reste de par les thèmes qui y sont abordés et leur atmosphère. Si elles nuisent quelque peu à l'homogénéité du recueil, elles n'en sont pas moins remarquables. La première, charmante, raconte la simple histoire d'un homme qui prend tendrement la place de père et de mari au sein d'une famille décomposée dans un immeuble communautaire de la Russie des années 20.

Enfin, le livre se clôt sur "L'Eruption étoilée", récit d'un jeune médecin confronté à une épidémie de syphilis. On le voit, désemparé et impuissant, devant la maladie qui se répand parmi des paysans qui ne la prennent pas au sérieux malgré les avertissements répétés du docteur ("Je découvris que la syphilis, ici, avait ceci d'effrayant qu'elle n'effrayait personne."). Cette histoire de médecin, c'est la rencontre de la ville et de la campagne, du savoir et de l'ignorance, des connaissances académiques et des réalités de la vie. Une rencontre, pas un choc, aucun affrontement. Juste une incompréhension mutuelle jusqu'à ce qu'il soit trop tard.

Stavroguine - Paris - 40 ans - 11 janvier 2009


J'adore cet auteur 8 étoiles

Surtout "Le maître et Marguerite", mais j'ai aussi lu "La garde blanche" et "Le récit d'un jeune médecin"
Ce dernier est une merveille et décrit avec un réalisme terrible les conditions de travail des médecins dans les débuts de la République soviétique. Il y a surtout une description fantastique du cas d'un médecin qui est devenu complètement morphinomane et qui décrit ses affres avant que de se suicider tant il est au bout du rouleau !
Je ne connaissais pas le livre que tu viens de critiquer et tu m'as donné une solide envie d'aller me l'acheter.

Jules - Bruxelles - 79 ans - 15 novembre 2003