La cuirasse de feu
de William Golding

critiqué par Tistou, le 9 septembre 2014
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Trilogie maritime (3)
“La cuirasse de feu” est le troisième ouvrage de ce que William Golding regroupa en une trilogie ; la “Trilogie maritime”. Les deux autres étant « Coup de semonce » (2) et « Rites de passage » (1). Ces trois romans se suivent réellement, même si la trilogie est commencée en 1980 (Rites de passage), poursuivie en 1987 (Coup de semonce) et terminée en 1989 (La cuirasse de feu). Au passage, entre 1980 et 1987, trois autres romans seront intercalés. Il vaut clairement mieux les lire dans l’ordre, les 2 et 3 reprennent les personnages et éléments développés dans le 1.
Nous avions laissé Edmund Talbot - jeune aristocrate anglais en route vers l’Australie – et ses compagnons de fortune (d’infortune ?), dans une situation passablement calamiteuse ; une mauvaise manœuvre ayant privé le vaisseau de ses capacités de carguer toutes ses voiles – et donc d’avancer rapidement – pire, c’est la stabilité et l’étanchéité du vaisseau qui est menacée. Nous sommes en 1814, il n’y a donc pas les possibilités modernes de faire connaître situation et position. Le capitaine Anderson et son équipage doivent ainsi compter sur leurs seules ressources et leur créativité pour mener au mieux ce voyage. Le lieutenant Benét, échangé lors du recueil précédent (« Coup de semonce »), avec Deverel, officier responsable du désastre, va se montrer, sur le plan de la créativité, prépondérant, au grand désespoir de Charles Summers, premier lieutenant et ami de Edmund Talbot, qui se voit progressivement délaissé dans ses prérogatives.
Mais de tout cela, Edmund Talbot n’est que moyennement conscient, obnubilé qu’il est par la révélation de l’amour qu’il connût lors de la rencontre sur l’océan avec l’Alcyone, qui transporte Marion, la pupille du capitaine de la dite Alcyone, vers les Indes. Edmund Talbot n’est plus le même, assurément. Et ce recueil, particulièrement, sera marqué par la manière dont William Golding fait évoluer les personnages que nous avons sous les yeux depuis le démarrage de « Rites de passage ». Certains, peu sympathiques, voire falots, tels M. Prettiman (présenté initialement comme le « philosophe qui vient porter la parole de liberté aux indigènes », un peu révolutionnaire (mais pas trop quand même !)) et celle qui vient de se fiancer – et va même se marier avec lui sur le vaisseau pour anticiper la fin de vie de Prettiman qui parait imminente – Miss Granham, jusqu’ici présentée comme une institutrice, vieille fille revêche et intimidante et qui se révèle tout à coup sous un jour de femme.
C’est évidemment au fil de l’évolution du jeune Edmund Talbot, qui se croyait déjà socialement arrivé, que nous découvrons tout ceci et William Golding se révèle très habile dans l’art de changer à la marge psychologie et contexte de ses personnages et singulièrement d’Edmund Talbot.
Il va y avoir une tentative audacieuse de la part du lieutenant Benét pour améliorer la situation du vaisseau. Audacieuse dans la mesure où, mal menée elle pourrait conduire à l’embrasement du vaisseau – situation particulièrement problématique au milieu de l’océan sans possibilité de communications ! Il va s’agir d’insérer des tiges portées au rouge dans le mât principal qui hoche dans son logement et n’est plus réellement utilisable, et de les boulonner en escomptant que lors du refroidissement, la rétraction du métal assurera un serrage des plus intenses.
Le rival auprès du capitaine, l’ami d’Edmund Talbot, le premier lieutenant Charles Summers, est farouchement opposé à cette tentative mais c’est Benét qui a l’oreille du capitaine Anderson. Il y est farouchement opposé dans la mesure où introduire des tiges de fer chauffées au rouge dans une structure en bois peut conduire effectivement à des désagréments … flamboyants.
Le vaisseau parviendra néanmoins à destination et quelques péripéties, bien terriennes celles-ci, viennent ponctuer la « Trilogie ». Entre autres, Edmund Talbot apprendra la mort de son parrain et verra du coup son statut tout à coup moins … considéré. Mais il fait son apprentissage. Et puis Marion, son amour emporté aux Indes par l’Alcyone, va faire une réapparition …
William Golding est réellement un fin observateur des mœurs humaines et sa capacité à endosser des personnalités du siècle qui le précède, dans des conditions de vie qu’il ne peut avoir connues personnellement, est proprement bluffante. On se retrouve à la fin de cette trilogie à mettre pied à terre après des mois d’une traversée éprouvante et, à l’instar d’Edmund Talbot, on est tout décontenancé de voir ce petit monde qui vivait en vase clos s’éparpiller dans toutes les directions sitôt l’accostage.

« Nous arrivâmes enfin à Sidney Cove et notre petit monde éclata. Nous accostâmes le nouveau quai et le bateau fut pris d’assaut car on attendait depuis longtemps les marchandises que nous transportions dans notre cale. Personne ne prit bien garde aux quelques passagers. Les garde-fous furent d’une grande utilité. Anderson laissa Mr Summers exécuter la manœuvre et descendit à terre en toute hâte, accompagné par Mr Benét (l’image même de l’officier d’ordonnance).
…/…
« Au revoir, Mr Talbot. J’ai entendu dire que vous vous proposiez de publier un récit de notre traversée sans illustrations. Je vous le déconseille. Rien de ce que vous pourrez écrire n’égalera le succès de votre pratique médicale.
- Plaît-il ?
- N’avez-vous pas à moitié guéri notre bon ami Mr Prettiman ? En fait, monsieur, je crois que vous devriez abandonner la Muse pour Esculape ! Je vous souhaite le bonjour.
- Mrs Prettiman – Mrs Prettiman ! Je ne vous dirai pas adieu, mais au revoir. Nous nous reverrons sûrement ! »
Je ne pus entendre ce qu’elle disait à cause du bruit et je ne pus m’approcher d’elle à cause de la foule sur le pont et de la cale ouverte. Notre séparation eut lieu en plein affolement. Mr Prettiman était presque assis sur son brancard et il scrutait le quai. Deux ou trois hommes se détachèrent d’un groupe et montèrent à bord. On l’attendait ! »