Histoires désobligeantes
de Léon Bloy, Cécile Noguès (Dessin)

critiqué par Malic, le 4 septembre 2014
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Moins désobligeant que jubilatoire pour le lecteur
Un titre en pleine adéquation avec l’auteur, lui qui sa vie durant sut si bien déplaire. Dans ces douze courtes nouvelles rien ne se passe comme on l’attendrait et les personnages vont à l’encontre des stéréotypes rassurants et bien-pensants. Une mère admirable ou une fervente dévote se révèlent des monstres d’égoïsme ou de perversité. Au contraire des personnages au départ totalement répugnants peuvent en fin de compte apparaître comme des sortes de saints. Au fil de ces textes, on plonge dans le crime, le parricide, l’infanticide et on évite de justesse l’inceste. L’un des principaux ressorts de ce recueil est l’humour noir. Ainsi dans « La tisane », où le narrateur, et avec lui le lecteur, découvrent progressivement les degrés d’une vérité à chaque étape plus horrible.

Léon Bloy manie également très bien l’absurde. « Les captifs de Longjumeau » met en scène deux héros en proie à une situation quasi kafkaïenne ( cela, bien avant Kafka, né l’année qui suivit la parution de ce livre.) Dans « La taie d’argent », un homme est atteint d’une infirmité pitoyable : clairvoyant dans un monde d’aveugles et cette fois l’absurde tourne à la parabole.
Ces textes font constamment preuve d’une verve méchante, très moderne, puissamment aidée par un style vigoureux, exubérant, foisonnant d’hyperboles. Au physique comme au moral, les protagonistes sont décrits à coups de formules aussi inattendues que cruelles. D’un personnage on nous dit qu’il a une « figure jetée à la pelle » et d’un autre qu’il était « si chaste qu’il eût condamné la jupe des zouaves. »

Léon Bloy possède également le génie des noms pittoresques : Esculape Nuptial, Alcibiade Gerbillon, Fiacre-Prétextat Labaltarie, Mme Durable ( une mère et belle-mère calamiteuse…) sans oublier deux personnages récurrents chez l’auteur : le peintre Pélopidas Gacougnolle et le héros du « Désespéré » (premier roman de Bloy), le formidable Caïn Marchenoir, qui apparaissent ici dans la nouvelle « La plus belle trouvaille de Caïn. »

Un livre hautement jubilatoire.

Extrait ( le début de « la religion de Monsieur Pleur ») :
« L’aspect de ce vieillard fécondait la vermine. Le fumier de son âme était tellement sur ses mains et sur son visage qu’il n’eût pas été possible d’imaginer un contact plus effrayant. Quand il allait par les rues, les ruisseaux les plus fangeux, tremblant de refléter son image, paraissaient avoir l’intention de remonter vers leur source. »

Pour finir, quelques mots sur l’auteur. Dans la préface de mon édition, Borges, dont c’était l’un des auteurs favoris, qualifie Léon Bloy de « collectionneur de haines ». Il était antisémite (bien qu’ayant écrit un « Salut par les juifs »), il détestait l’Angleterre, La Belgique, les États-Unis. Catholique fervent et mystique, toujours en quête d’absolu, il se lançait volontiers dans des spéculations théologiques peu orthodoxes, supposant par exemple que peut-être sommes-nous déjà en enfer, chacun étant un démon chargé de tourmenter autrui (Sartre s’en est-il inspiré pour son « Huis-clos»?) Bloy se montra aussi imprécateur et polémiste redoutable, qui incendia la plupart de ses confrères écrivains, ce qui lui valut de passer une bonne partie de sa vie dans une misère aussi noire que son Périgord natal. Il s’est largement décrit lui-même dans le personnage de Caïn Marchenoir, dont il dit dans la nouvelle précitée : « C’était un orageux et difficile marcassin qui ne s’encanaillait qu’avec les constellations. » ou encore « un cannibale céleste » et « un aborigène du malheur ».

Léon Bloy, décidément écrivain et personnage hors-norme fut l’un des tout premiers à s’intéresser à Lautréamont, qu’il préférait de loin aux gloires de son temps telles que Paul Bourget. Il semble aussi, excusez du peu, que son œuvre ait influencé Céline, et à coup sûr elle a influencé Borges.
Comique et sordide à la fois 5 étoiles

« C’était donc vrai que les morts peuvent se glisser de la sorte parmi ceux qui vivent ou qui font semblant d’être des vivants ! »

Histoires désobligeantes, Tout ce que tu voudras

Qu’elles sont cruelles, macabres et glauques, ces Histoires désobligeantes ! Léon Bloy réussit bien sont coup, car c’est une sorte de malaise qui m’a envahi à la lecture de ce recueil, pleines de « pages sombres et pleines de poison », comme aurait-dit un certain Comte de Lautréamont. Ici on n’est quand même nettement plus dans la farce et le ricanement, dans le grotesque, dans l’humour noir que dans Les Chants de Maldoror, mais il y a un petit parfum de cela quand même dans cette façon de dépeindre les bas-fonds de l’âme humaine. Un petit parfum de Guy de Maupassant aussi peut-être, dans la cruauté des chutes, ou dans le naturalisme précis. Il lorgne souvent vers le fantastique (La Taie d’argent, Les captifs de Longjumeau, Terrible châtiment d’un dentiste), dans une étrange ambiance à la fois comique et sordide, où défilent les crimes, les meurtres, les vengeances mesquines tandis que surgissent à l’improviste les spectres du passés et les démons intérieurs.

Je reconnais la qualité de l’écriture, sa vigueur; mais rien n’y a fait : je n’ai pas réussi ni à adhérer ni au style un chouia empesé ou excessif, ni au vocabulaire parfois ampoulé, ni à l’atmosphère si particulière de ces récits. Ce que précise Malic dans sa critique en tout cas éclaire me semble-t-il tout à fait le fil conducteur des histoires désobligeantes : « Léon Bloy se lançait volontiers dans des spéculations théologiques peu orthodoxes, supposant par exemple que peut-être sommes-nous déjà en enfer, chacun étant un démon chargé de tourmenter autrui. »

Fanou03 - * - 48 ans - 19 novembre 2019