L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage
de Haruki Murakami, Hélène Morita (Traduction)

critiqué par Sentinelle, le 18 septembre 2014
(Bruxelles - 54 ans)


La note:  étoiles
Exclusion et conséquences
A l’âge de vingt ans, Tsukuru Tazaki vécut plusieurs mois en ne pensant qu’à la mort et à son éventuel suicide : qu’il n’ait plus d’existence dans ce monde et que le monde n’ait plus d’existence pour lui. Cette aspiration à la mort faisait suite à une rupture douloureuse : à Nagoya, ils étaient cinq amis inséparables depuis le lycée, jusqu’au jour où ses amis lui annoncèrent qu’ils ne voulaient plus le revoir. Lui, Tsukuru Tazaki, l’homme qui se pense incolore, sans signe distinctif, vide de nature et moyen en tout, l’homme qui pourtant avait été le seul à quitter sa ville natale pour étudier à l’université de Tokyo, en gardera à jamais des séquelles.

Et lorsque Sara rentre dans sa vie une quinzaine d’années plus tard, elle le sent comme hors d’atteinte, comme séparé du monde en maintenant une distance invisible mais palpable avec son entourage. Tsukuru Tazaki éprouve des sentiments pour Sara mais celle-ci refuse d’aller plus loin tant qu’il n’entamera pas un pèlerinage dans son passé, afin de s’y confronter en tentant de comprendre ce qui a brisé le cercle de ses amis, si parfait et si harmonieux en apparence, avant ce rejet demeuré inexplicable jusqu’à ce jour.

L’auteur nous convie à un roman intimiste et psychologique sur les blessures et la fragilité de la vie, leurs conséquences mais aussi le courage de s’en affranchir pour pouvoir accéder au bonheur d’aimer et d' être aimé. En ne maintenant plus la distance entre soi et les autres de crainte de replonger dans les abîmes de l'abandon, sans plus se voir comme un récipient exempt de contenu mais comme un homme digne capable de recevoir mais également de donner le meilleur de lui-même.

Un roman plein de charmes et aux résonances multiples sur le thème de l'exclusion et le mal-être qu'il engendre, sur les contours un peu flous des rêves et de la sexualité refoulée, sur l'homosexualité parfois latente qui s'en dégage.
UN ROMAN D’APPRENTISSAGE INOUBLIABLE. 8 étoiles

Je ne reviendrai pas sur l’histoire de ce livre, déjà amplement décrite dans les critiques précédentes. Disons simplement que si l’argument principal de ce livre est l’exclusion brutale du héros du livre de son cercle d’amis, et la descente aux enfers qui s’ensuit, ce n’est vraiment que la partie visible de l’iceberg!

Ce qu’il faut regarder est bien plus «l’enchaînement» des événements et la façon dont MURAKAMI les traite. Au début du roman, tout va bien entre les jeunes gens. Survient une première rupture, Tsukuru étant le seul à partir étudier loin de leur ville natale. Ensuite, la rupture définitive, grave, brutale, sans aucune explication. Puis le passage à vide du héros du livre, malgré sa réussite dans sa vie professionnelle. Enfin, vient la «rédemption», sous la forme d’une jeune femme, Sara, dont Tsukuru tombe éperdument amoureux. S’ensuit alors une «quête», («les années de pèlerinage»?) à la recherche de ses anciens amis, dont il n’a plus de nouvelles depuis des années, pour enfin «crever l’abcès», et savoir ce qui s’est réellement passé, seize années auparavant… Avant l’épilogue surprise… (Et non, n’insistez pas je ne vous dirai pas lequel)…

Le tout est traité de façon magistrale par l’auteur, avec une «logique» de l’enchaînement, un plan de «déroulement» absolument unique, et qui n’appartient qu’à l’auteur. Les éventements s'imbriquent de façon incroyablement belle et juste entre eux. Cela frise la perfection. Un exemple? Regardez bien les chapitres, vous découvrirez p. ex. qu’il y a un chapitre par couleur, un chapitre pour chacun des anciens amis que Tsukuru retrouve, un chapitre pour chaque évènement… Rien à redire ici, un véritable «cours de maître» de l’écrivain japonais, pour tous ses lecteurs!

Un mot aussi sur l’écriture, toujours aussi belle, toujours aussi éclatante, avec des phrases qui ont l’air si simples, mais qui sont ciselées de façon unique, qui glissent toutes seules… Des mots qui rendent la lecture facile, alors qu’en même temps, on se rend bien compte que l’on est en train de lire un grand livre, d’un grand écrivain.

Enfin, comme toujours avec Murakami, des questions restent ouvertes à la fin du livre, mais, comme toujours aussi, cela ne gâche en rien la lecture et la bonne compréhension du livre.
L’auteur laisse une part d’interprétation «libre» pour chaque lecteur…
[ATTENTION : Divulgâchage] : P. ex. : Une question qui revient souvent dans les autres critiques : Qui est l’homme d’un certain âge que Tsukuru voit en compagnie de Sara à la fin du livre? Et avec qui elle se comporte de façon très différente que quand elle est avec lui? Et bien pour moi, - attention il ne s’agit que de mon avis personnel -, c’est tout simplement… Son père!.. Non? [Fin du divulgâchage].

Je finis, comme toujours, absolument ébloui par le talent de cet auteur. Ce n’est certes pas le chef d’œuvre de l’écrivain, ni un roman vraiment représentatif de son œuvre, en effet, contrairement à beaucoup d’autres de l’écrivain japonais, celui-ci ne comporte quasiment pas d’atmosphère frôlant le fantastique… Mais, ne nous y trompons pas, cela reste un très bon et très grand livre, et une très bonne introduction à l’œuvre littéraire d’Haruki MURAKAMI.

Septularisen - Luxembourg - 56 ans - 1 août 2022


Retour utile sur le chemin de la vie 8 étoiles

Tsukuru, le héros, fait partie d’un groupe avec quatre autres étudiants de son lycée. Chacun d’entre eux a dans leur patronyme l’évocation d’une couleur, soit rouge, bleu, noire et blanche, sauf le héros dont le nom n’évoque aucune coloration.

Tout à coup, alors qu’ils sont âgés de 20 ans, ceux-ci décident d’exclure Tsukuru sans aucune explication.
Cet abandon plongera le héros dans un état d’abord suicidaire, puis taciturne jusqu’au jour (16 ans plus tard) où il rencontre Sara. Elle va l'encourager à revoir ses anciens amis en vue de connaître les motifs de cet abandon qui de prime abord repose sur un grave malentendu. Le héros retourne alors dans sa ville natale mais devra aussi se rendre en Finlande où réside « noire » une de la bande des quatre.

Comme souvent l’auteur excelle dans l'art du roman, ses histoires émaillées de références documentées sans pour autant donner à un seul moment l’impression de faire du cabotinage. Il pourra peut-être énerver certains lecteurs par de longues descriptions qui semblent superflues, mais permet aussi de poser délicatement son récit dans un écrin de poésie en laissant l’imagination nous guider vers des développements personnels. Des portes restent ouvertes, au lecteur d'en faire ce qu'il veut.

Moins de fantastique que d’autres romans, cet ouvrage garde le style et la musique propres de ce remarquable auteur. Il devra de toute manière plaire au plus grand nombre et reste dans la lignée de l’œuvre du maître japonais.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 4 octobre 2015


Tout en finesse et ouaté 9 étoiles

Ils étaient cinq amis dans un lycée à Nagoya, Japon.
« Les deux garçons s’appelaient Akamatsu – Pin rouge -, Ômi –Mer bleue -, et les deux filles, respectivement Shirane – Racine blanche- et Kurono- Champ noir. » Et le troisième garçon était Tazaki qui n’avait absolument aucun rapport avec une couleur.
Bleu, le sportif qui ne se prend pas la tête ; Rouge, l’intellectuel, le penseur ; Blanche, la mignonne jeune fille ; Noire, la comédienne plein d’esprit ; Tsukuru Tazaki, le beau garçon bien éduqué.
Un jour, Tsukuru apprend que ses amis ne veulent plus le voir, qu’il ne fait plus partie du groupe.
Pourquoi ? Pas de réponse.
Tzukuru tombe dans une profonde dépression, pense au suicide. Tout au long de ces plus de 360 pages, il va tenter de connaître la raison de cette décision brutale en rencontrant un par un ses anciens amis, sauf Blanche, décédée tragiquement.

Un récit tout en finesse, presque ouaté, signé par une de nos plus fameux écrivains contemporains.


Extraits :


- Vois-tu, je ne suis pas Dieu, je ne domine pas le temps.

- Ce sont les parents qui apprennent à gazouiller leurs petits, avait expliqué Eri. Puis elle avait souri. Avant d’arriver ici, je ne savais pas que les oiseaux devaient apprendre à chanter.

- Il est propriétaire d’un petit appartement de deux pièces dans une jolie résidence, bien située, proche du centre –ville. Il n’a contacté aucun prêt. Il ne boit pour ainsi dire pas, ne fume pas, n’a aucun passe-temps coûteux. A vrai dire, il ne dépense presque pas. Non qu’il cherche à épargner ou même à mener une vie d’ascète, simplement, il ne voit pas très bien comment dépenser son argent. Il achète parfois des CD ou des livres, mais il ne s’agit pas de grosses dépenses. Il préfère manger chez lui plutôt qu’à l’extérieur, il lave et repasse lui-même ses draps. Il n’est en général guère bavard, il est extrêmement timide et, en présence de plus de trois personnes, il préfère qu’on fasse comme s’il n’existait pas, , est assez peu sociable mais pas complètement solitaire non plus. Dans une certaine mesure, il s’adopte à son environnement. S’il ne cherche pas à rencontrer des femmes de sa propre initiative, il n’a jusqu’à présent pas manqué de partenaire. Il est célibataire, il a un visage plutôt agréable, est discret, il s’habille correctement.

Catinus - Liège - 72 ans - 14 juin 2015


Titre intrigant, n’est-ce-pas ? 9 étoiles

Tsukuru Tazaki connait, alors qu’il termine ses années de lycée, à Nagoya, au Japon, une relation quasiment fusionnelle avec quatre camarades ; deux filles et deux garçons. Ils n’ont pas de secrets les uns pour les autres, leur confiance réciproque est totale, ils sont en contact permanent. Seule ombre au tableau pour Tsukuru, jeune homme qui manque tout de même de confiance en lui, il est le seul de la bande dont le patronyme n’est pas l’expression d’une couleur. Les quatre autres sont respectivement Blanche, Noire, Rouge et Bleu. Et lui … il en vient à se considérer comme … incolore. Mais, je l’ai déjà dit, il n’a pas une extrême confiance en lui.
Se termine le lycée, l’équivalent de notre bac et sonne l’heure de la séparation. Pour Tsukuru Tazaki qui a décidé d’aller étudier à Tokyo. Il est le seul des quatre à partir si loin – il devra résider à Tokyo et donc abandonner les membres du groupe qui, eux, étudieront à Nagoya. C’est que Tsukuru a une passion, qui l’a gagné il y a déjà longtemps, il est passionné de … gares ferroviaires et l’Université dans laquelle il est accepté à Tokyo sera celle qui pourra le mieux le préparer à les édifier (bon c’est une passion comme une autre même si ça parait curieux !).
Qu’à cela ne tienne, le lien n’est pas coupé, il revient à chaque vacances et tout recommence comme avant. Comme avant jusqu’au jour où, de retour à Nagoya et cherchant à contacter ses amis, il n’y parvient pas, se rend compte qu’on le fuit et que finalement, celui plus ou moins considéré comme le leader du groupe lui crache le morceau – oh, un tout petit morceau ! – on ne veut plus le voir et, pire, on ne lui donne aucune explication, il est censé comprendre. La foudre lui tombant dessus ne l’aurait pas davantage pétrifié. Non seulement il ne comprend pas pourquoi mais, manquant de confiance de lui, se vivant comme « incolore », il ne va chercher à crever l’abcès, à rencontrer ses (ex) amis pour avoir une explication. Il va se replier sur lui-même, plongeant dans une terrible dépression qui le porte au bord du suicide et qui va le marquer à tout jamais, modelant sa personnalité, lui inculquant des réflexes de fuite devant les autres, fuyant toute relation durable.
Une quinzaine d’années plus tard, toujours solitaire mais construisant des gares, il fait la connaissance de Sara, une femme de son âge, une femme avec laquelle il se dit qu’il pourrait vivre. Et réciproquement. Réciproquement, sauf que Sara, au fil de discussions avec Tsukuru identifie une zone d’ombre dans la vie de celui-ci, une zone qui l’inquiète potentiellement et qu’elle lui demande de clarifier. Elle a senti la blessure encore béante dans le passé de Tsukuru et elle lui demande de faire maintenant ce qu’il n’a pas fait il y a 15 ans ; comprendre ce qu’il s’est passé à Nagoya.
Et c’est le sens du pèlerinage du titre. Tsukuru va se mettre en quête de ses anciens amis dont il n’a plus jamais eu de nouvelles, les retrouver les uns après les autres afin de reconstituer le puzzle 15 ans après …
C’est très fin, d’une grande psychologie, avec quelques zones d’ombre qui subsisteront. Une plongée dans le passé d’un homme et une manière d’illustrer comment des actes en apparence anodins peuvent profondément modeler notre psychologie et nos comportements futurs.

Tistou - - 67 ans - 20 mars 2015


Envoûtant 8 étoiles

J'ai lu ce livre très vite car il est envoûtant et mystérieux. L'écriture est précise et efficace tout en étant d'une étonnante douceur.

Les questions que soulève l'auteur sont passionnantes, certaines nous renvoient à nous-même.

SPOILER:
Je suis un peu resté sur ma faim car il y a des éléments que j'aurais aimé voir expliqués comme la signification et la disparition du personnage de Haida... De ce mystérieux homme d'âge mûr qui accompagne Sara...

Blankovitch - - 46 ans - 28 octobre 2014