Chasseurs de chimères : L'âge d'or de la science-fiction française
de Serge Lehman

critiqué par Malic, le 25 août 2014
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Science-fiction de J.H. Rosny à… André Maurois
On entend souvent vanter l’âge d’or de la SF américaine, des années 1920 aux années 50. Mais la France a connu également son âge d’or dans cette période et même avant. Dans son anthologie «Chasseurs de chimères », Serge Lehman nous en donne un bel aperçu au fil de onze romans et nouvelles qui n’ont rien à envier à ceux des maîtres anglo-saxons et sont souvent mieux écrits. Les auteurs sont soit d’authentiques esprits scientifiques, comme Jacques Spitz, soit simplement des imaginatifs, avides de « merveilleux scientifique ».

D’abord trois textes relativement connus :

"Les Xipéhuz" ‘ (1888) de J.-H. Rosny aîné : cet auteur surtout connu par ses récits préhistoriques s’est aussi illustré dans la SF ( « Les navigateurs de l’infini ») Avec "Les Xipéhuz", on est dans les deux genres à la fois. Une peuplade préhistorique se trouve confrontée à de terribles et incompréhensibles créatures, aussi effrayantes que certaines entités lovecraftiennes, quoique d’un comportement différent. Un récit étonnant, écrit dans le style vigoureux de l’auteur de la « guerre du feu ».

"La Roue fulgurante" de Jean de La Hire : on attribue souvent à cet auteur la paternité du premier super-héros ( le « Nyctalope », héros de toute une série de romans) et celle de la première soucoupe volante, en l’occurrence cette « Roue fulgurante ». Une poignée de terriens sont enlevés et embarqués dans ce curieux vaisseau pour être conduits sur Mercure. Une très divertissante histoire feuilletonesque qui mêle étrangement space-opéra et spiritisme. Le style est celui du roman populaire, avec parfois des éclats plus raffinés.

"Le Péril bleu" de Maurice Renard : un classique. Grande originalité, le péril en question vient de créatures non pas extraterrestres, mais d’êtres vivant dans la haute atmosphère de la terre, invisibles de surcroit. L’histoire, très bien menée, commence dans la cocasserie et se poursuit en drame avec un postulat de base est très intelligemment développé.

Les autres textes sont nettement moins connus :

"La Découverte de Paris" d’Octave Béliard : en l’occurrence un Paris aux monuments envahis par les glaces et à la faune polaire dans une Europe en proie au refroidissement. Emouvant et nostalgique.

"Les Signaux du soleil" de Jacques Spitz : Mars et Vénus nous « pompent l’air » littéralement ou plutôt l’un l’azote, l’autre l’oxygène, déclenchant des catastrophes climatiques. Dans quel but et comment stopper ces phénomènes, je ne vous en dirai pas davantage. Jacques Spitz avait une solide formation scientifique, ce qui lui permet de donner une grande crédibilité à ce sujet a priori délirant.

"Par-delà l'univers" de Raoul Brémond (1931) : un stupéfiant voyage dans la quatrième dimension, appuyé sur une extrapolation des théories physiques de l’époque.

Jean d'Esme "Les Dieux rouges" : un roman qui se rattache à la SF par le biais des « mondes perdus », comme ceux de Conan Doyle ou d’E.R. Burroughs. Dans la jungle Laotienne, les héros découvre un peuple inconnu dirigé par une cruelle sorcière. Un récit mouvementé et dramatique dans un style somptueux.

"L'Apparition des surhommes" de B.R. Bruss : l’évolution de nos gènes à l’origine de mutants bien plus avancés que nous au plan physiologique, scientifique et même artistique. Parviendront-ils à nous supplanter ? Ce roman (1953) est l’un des premiers et des meilleurs d’un auteur qui continuera à s’illustrer tant dans la SF que dans le fantastique.

"Anthéa" de Michel Epuy : nouvelle dans laquelle nous faisons connaissance avec une étrange planète venue se satelliser autour de notre Terre.

"Après la grande migration" De Claude David : une histoire de voyage dans le temps.

Mais pour moi la plus grosse surprise est venue d’André Maurois, avec "Le Peseur d'âmes." Voilà bien longtemps que je n’avais rien lu de cette institution des lettres françaises, que je voyais comme un auteur de bonne compagnie, mais quelque peu poussiéreux. Et en tous cas, j’étais loin de l’attendre du côté de la SF. Ce court roman brode à partir de la fameuse théorie selon laquelle le corps humain perd 28 grammes lors de la mort, ce qui représenterait le poids de l’âme. A Londres, un médecin va chercher à recueillir les âmes post mortem, et à réunir pour l’éternité les âmes sœurs. Un roman mi-SF mi-fantastique, une histoire envoûtante, empreinte d’un romantisme aussi éthéré que morbide et très bien écrite (mais ça, c’est la moindre des choses de la part de notre académicien.)

Une anthologie captivante et qui réservera nombre de surprises à la plupart des lecteurs.

NB :"La Roue fulgurante" et "Le Péril bleu" ont déjà été critiqués sur CL