Des Vietnamiens dans la Grande Guerre
de Mireille Le Van Ho

critiqué par JulesRomans, le 15 octobre 2014
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Des Viets, des viets oui mais des décanies !
Récemment dans la fiction autour de travailleurs chinois présents sur le sol français entre 1914 et 1918, on a eu nombre de livres ; on retiendra pour les collégiens et lycéens "Souviens-toi de moi" et pour les adultes "Le planqué des huttes", deux titres présentés sur Critiques libres. La BD "Sang noir" chez Physallis permet de suivre le tirailleur sénégalais Yacouba Ndaw durant ce même conflit, il a l’occasion en plusieurs vignettes de rencontrer des travailleurs indochinois. "Les étrangers et la Grande Guerre", qui devrait sortir à la Documentation française pour le 11 novembre 2014, devrait donner une vision globale de la question.

Ici avec "Des Vietnamiens dans la Grande Guerre " de Mireille Le Van Ho , on a une version allégée en nombre de pages mais enrichie sur certains points de la thèse soutenu en 1986 par l’auteure (alors Mireille Favre) à l’École des Chartes. Au cours de la Première Guerre mondiale, la France avait fait venir près de 50 000 paysans vietnamiens (pour moitié du Tonkin) et marginalement cambodgiens destinés en particulier au travail dans les usines d’armement.

Si Mangin présente depuis la fin de la Belle Époque l’Afrique comme un vivier de troupes destinés à venir un jour combattre sur le sol européen, par contre l’idée similaire d’une Force jaune du Commandant Supérieur des Troupes du Groupe de l'Indochine Théophile Pennequin n’aboutit pas car dans son esprit la quasi-totalité des gradés auraient dû être dans ce cas des indigènes. Le projet est enterré par le Comité Consultatif de Défense des Colonies, car « l'évolution militaire d'un peuple ne peut que suivre son évolution politique et sociale et non la devancer ». Un article (non cité dans le livre de Mireille Le Van Ho) d’Albert de Pouvourville, paru au "Figaro" le 29 octobre 1912, donne les arguments des adversaires de la Force jaune :

« Or, quand nous aurons, dans nos écoles, créé des officiers indigènes d'infanterie et d'artillerie, nous leur aurons dévoilé tous les secrets de notre supériorité; et nous aurons nous-mêmes dissipé le mirage merveilleux de nos poudres sans fumée, de notre TSF et de notre aviation. Et dès lors, notre supériorité même sera perdue. Et nous tomberons d'autant plus bas que nous tomberons de plus haut. Un dieu, quand c'est un dieu déchu, ne vaut plus même un homme.
J'en ai dit assez pour montrer le péril où l'on s'engage. Et je n'ai pas la place pour développer d'autres arguments tout aussi prenants et vainqueurs, et dans le même sens.
Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait rien à faire. Il y a, au contraire, beaucoup à faire et beaucoup à perfectionner. Le recrutement régional, l'instruction des cadres indigènes inférieurs, la création d'écoles pour les enfants de troupe, la mise en valeur des contingents annuels dont je parlais l'autre jour, voilà de quoi, et pendant longtemps, suffire à notre ardeur. Mais prenons bien garde de ne jamais porter, dans nos réalisations militaires, nos théories indigènes d'assimilation, d'association, de collaboration, et d'égalisation. Ces théories n'engendrent, en France, que d'éloquentes, et verbeuses, et vaines rhétoriques: elles engendreraient, en Indochine, les dangers les plus graves et les plus immédiats ».

Cela vaut même à Théophile Pennequin une retraite légèrement anticipée et d’être sûrement le seul général, qui ayant demandé à reprendre du service à l’été 1914, se le soit vu refuser. Toutefois il propose par la suite d'employer 170 000  pour servir en métropole. La santé de Théophile Pennequin décline et il décède en juin 1916 à l'hôpital de Toulon, à l’âge de soixante-six ans.

Dangereux en armée homogène, les Indochinois sont jugés selon la caricature chétifs et laborieux mais piètres combattants. On va donc intensifier un recrutement d'ouvriers et ne pas insister sur l'apport possible en soldats. L’ouvrage de Mireille Le Van Ho ne s’attache qu’à la population des civils, elle montre comment l’administration coloniale agit pour faciliter le recrutement et que celui-ci est plus ou moins fort selon les régions de la péninsule, les syndicalistes de la CGT et l’ensemble des ouvriers et ouvrières réagissent à leur présence dans les usines, les conséquences sur la psychologie des Indochinois de leur venue en France.

De retour dans leur pays, nombre d’entre eux constituent le fer de lance de la contestation tant de l’ordre colonial que de la société traditionnelle. À la fin de la guerre en 1919, le futur Hô Chi Minh (un pseudonyme pris ultérieurement) avait d'ailleurs envoyé aux dirigeants occidentaux (Wilson, Clemenceau, Lloyd George) une "Pétition du peuple vietnamien pour plus de droits et de libertés en Indochine, pour l'autodétermination", un texte publié par "L'Humanité" le 18 juin de la même année.

L’ouvrage reproduit des documents divers (retranscrits, donc lisibles), dont des courriers, des articles de journaux. L’iconographie est composée de huit pages de photographies tant de civils que de militaires indochinois.