Le Disciple
de Paul Bourget

critiqué par Martin1, le 18 août 2014
(Chavagnes-en-Paillers (Vendée) - - ans)


La note:  étoiles
Le Disciple, roman destiné aux jeunes générations
Adrien Sixte est un philosophe moderne, aux convictions farouchement opposées à la chrétienté, qui n’existe pas pour autre chose que penser. Il exerce une profonde influence sur un jeune homme de son temps, du nom de Robert Greslou, aux facultés intellectuelles indéniables, et employé dernièrement comme précepteur dans la maison du marquis de Jussat.
Le livre commence véritablement à la page 160, mais à l’ennui profond que m’ont donné ces premiers chapitres descriptifs, s’est ensuivie une passion très vive pour l’intrigue. Robert Greslou fait d’abord la rencontre du comte André de Jussat : puis il s’éprend alors de Mademoiselle Charlotte de Jussat, la sœur de ce dernier. C’est alors un combat intérieur terrible pour Greslou. Penseur froid et calculateur, il prétend maîtriser ses sentiments jusqu’aux plus infimes remous ; avec cynisme, il séduit la jeune fille par des mensonges et des mauvais calculs. Pourtant, son honnêteté refait souvent surface : il ne se sent pas digne de cette fille pleine de bonté, lui qui est « une froide et meurtrière machine à calcul mental ». Mais ses désirs de domination sont plus forts et il ne résistera pas de tourmenter cette pauvre âme.
Quel est le sujet de ce roman ? On pourrait croire que c’est un roman d’amour-malheur comme Adolphe ou Le Diable au corps. Mais c’est un roman à thèse, à morale. Cet amour tragique connaît une origine bien particulière : il est le résultat de l’influence néfaste des essais philosophiques d’Adrien Sixte.
Qui est Robert Greslou ? C’est un intellectuel frêle, ayant toujours moins agi que médité. En grandissant, il s’enferme dans ses pensées lugubres, méprisant pour la piété religieuse naïve de son enfance, sévère pour ses passions amoureuses. Surtout, suite à la lecture des ouvrages d’Adrien Sixte, c’est un disciple en émulation qui rêve de ne laisser de place en lui qu’à la raison et de détruire le sentiment. Il a enveloppé foi politique, foi religieuse, foi guerrière et virilité dans un dédain total. Mais au fil de ses examens de conscience, il se découvre impuissant devant l’amour et lâche face à la mort.
En face de Robert Greslou, une autre personnalité forte : le comte André, monarchiste, esprit guerrier, viril et solide. Comme Greslou, il est allé au bout de sa philosophie : rien ne compte plus que l’honneur. Ainsi, il refusera de condamner un innocent, pour l’honneur de la famille. Mais sachant cet innocent moralement coupable, il l’exécutera froidement, pour sauver celui de la morte.
Le Disciple est un roman censé dénoncer les mauvaises influences de la philosophie moderne sur la jeunesse intellectuelle. En effet, Adrien Sixte se retrouve ainsi responsable d’un drame complet, puisque Charlotte meurt et que Robert est tué. Dans son introduction (un très beau texte), Paul Bourget met en garde le « jeune homme d’aujourd’hui » qui peut être corrompu par les milieux intellectuels : il le met en garde de ne pas devenir de ces cyniques nihilistes qui ne vivent que de plaisir et de sensualité (on reconnaît les risques des philosophies hédonistes), ni de ces intellectuels froids, si détachés de l’existence pour qui tout n’est que curiosité ou cadavre d’étude scientifique (on reconnaît ici le Disciple lui-même) : car l’un et l’autre peuvent mener à une forme d’immoralité.
Pour Bourget, le bien et le mal existent : c’est peut-être cette certitude toute nouvelle pour lui qui, comme on le sait, l’amènera à une conversion progressive.

Mes impressions ? C’est un livre à qualité littéraire certaine. D’accord, l’écriture est un peu ampoulée – mais sincère. Les personnages sont loin d’être creux. Ce qui me gêne, c’est le fait que ce soit un roman à thèse – que toute cette histoire serve de manière un peu trop préméditée à la moralité finale. Cette moralité, d’ailleurs, est propre à son époque : car selon moi, Bourget dénonce un danger spécifique à son époque où le milieu intellectuel est envahi de grands noms (Taine, Renan, Zola, Hugo, Barrès, Bazin) et exerce une forte influence sur la jeunesse. Cela le rend assez daté, il est vrai. Je ne crois pas que la jeunesse d’aujourd’hui soit corrompue par les philosophes – à vrai dire, ils ne lisent plus !
En somme, j’ai bien aimé ce livre, il permet de s’immerger, d’une certaine manière, dans certains états d’esprit du XIXème siècle.
La responsabilité de l’homme de lettres. 10 étoiles

Ce livre est très daté – l’histoire se passe dans les années 1880 – mais ça fait partie de son charme.
Un jeune élève est littéralement subjugué par la nouvelle philosophie d’un maître dont il vient de faire la connaissance. Il va tenter durant toute sa vie de se comporter suivant les préceptes de cette philosophie et ça le conduira au drame.

Au début du livre on fait la connaissance du fameux maître : il a produit plusieurs livres dans lesquels il développe ce qui pour l’époque était probablement une philosophie nouvelle. Mais Paul Bourget nous dit peu de chose sur cette philosophie. Nous voyons seulement qu’elle est basée sur une croyance en la prédestination, qu’elle est purement matérialiste et qu’elle finit par anéantir toute notion de morale, comme si l’homme n’avait plus la responsabilité de ses choix.

La seconde partie du livre est beaucoup plus développée. Le jeune élève, le disciple, s’est forgé un mode vie personnel d’après les enseignements de son maître ; mais il a vécu une histoire d’amour qu’il a voulu mener suivant ces théories, ce qui l’a conduit au drame. Alors il écrit à son maître tout le détail de sa vie et, sans renier son enseignement, il lui demande de lui venir en aide.

La troisième partie est plus courte mais ce n’est pas la moins intéressante. Elle commence par un règlement de comptes remarquablement amené, plein de suspense, et qui invite le lecteur à se demander où est la vraie justice et jusqu’où peut aller la vengeance quand l’honneur d’une famille est en jeu.
Mais on voit surtout, dans cette troisième partie, que le maître, en prenant connaissance du drame que ses théories ont produit, se demande dans quelle mesure sa responsabilité est engagée.
D’une manière plus générale, la question est posée : l’auteur d’une philosophie perverse est-il responsable des méfaits qu’elle produit sur les individus et dans le monde ? Paul Bourget suggère un début de réponse qui, à mon humble avis, est discutable.

Paul Bourget est un grand classique et son « Disciple » est prodigieusement intéressant. C’est d’abord un vrai roman avec des personnages principaux très fouillés et des personnages secondaires plein de pittoresque et de vérité ; on y rencontre aussi des descriptions de paysages d’Auvergne qui sont de toute beauté ; le roman est remarquablement construit et l’intrigue est très prenante. Mais il développe aussi une thèse et ce n’est pas un livre « facile » ; pourtant moi, qui suis « lecteur-bon-public » nullement féru de philosophie, j’ai été passionné de bout en bout par ce livre que j’ai trouvé d’une qualité exceptionnelle.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 13 septembre 2024