A propos de courage / les choses qu'ils emportaient
de Tim O'Brien

critiqué par Heyrike, le 25 octobre 2003
(Eure - 57 ans)


La note:  étoiles
Vivre en guerre, mourir en paix
1968, Tim vient d'obtenir sa bourse pour Harvard, lorsqu'il reçoit sa feuille de route pour le Viêt-Nam.
Il n'y croit pas, il pense qu'il s'agit d'une erreur… il est trop intelligent, trop bien pour ça. il y a la promesse d'un monde à sa botte… il n'aime pas le camping et en plus il ne supporte pas la vue du sang… tout son monde s'écroule. un vrai cauchemar. et ce bruit dans sa tête, ce hurlement silencieux. Il n'y comprend rien. il se dit que ceux qui veulent la guerre, qui ont besoin de chair fraîche, ils n'ont qu'à la faire eux-mêmes - qu'ils y envoient les imbéciles heureux qui soutiennent les bombardements sur Hanoï. ou bien les mignonnes petites filles de Lyndon Johnson… et pourquoi pas toute la famille de Westmoreland, ses neveux, ses nièces et son petit-fils. Il pense qu'il devrait y avoir une loi qui permette, seulement à ceux qui le désirent, qui sont pour la guerre, d'y investir leur vie. de partir au front avec femme, enfants et maîtresse.
Passé le premier choc, il décide d'attendre le jour de son incorporation. Il trouve un emploi dans un abattoir, toute la journée il nettoie des carcasses de porcs, le soir il erre sans but dans les rues d'Austin. Jusqu'au jour où il craque complètement. Résolu à s'enfuir au Canada, il prend la voiture de son père, direction le nord.
Il échoue sur la rive du fleuve Pluvieux, qui marque la frontière avec le Canada, malade de peur et ne sachant que faire, il trouve refuge dans un site de pêche tenu par un vieux bonhomme. Ce dernier l'accueille sans poser de question, sans jamais porter de jugement sur son attitude. Quelques jours plus tard, le vieux emmène Tim avec lui pour une partie de pêche. La barque flotte au milieu de fleuve Pluvieux, le vieux est concentré sur sa ligne comme absent, Tim scrute la rive opposée du fleuve situé à vingt mètres de lui, le Canada. En proie au désespoir, assailli par mille tourments, il voit sa vie derrière lui, tout ce qu'il doit laisser et cette peur au ventre, cette gêne qu'il ressent, le coeur paralysé, incapable de prendre une décision. Il pleure, agrippé au rebord de l'embarcation il essaye, il sent tous les regards rivés sur lui, il entend tous les cris de ceux qui le huent. Il se force à être courageux, le vieux est là silencieux, comme un témoin, comme Dieu. Finalement il se soumet.
"Je passai par les villes [.] et m'acheminai jusqu'au Vietnam, où je fus soldat, et puis je retournais chez moi. J'ai survécu mais ce n'est pas une fin heureuse. J'étais un lâche. Je suis allé faire la guerre."
Parcourant la jungle Vietnamienne, Tim et ses copains de la compagnie savent qu'ils sont sans cesse épiés, de jour comme de nuit. Parfois ils rigolent, souvent ils ont peur. Chacun a son petit truc pour tenir le coup, celui qui ne l'a pas, c'est qu'il est mort. Tim nous raconte sa guerre faite de morts et de vies. Car il faut quand même continuer à vivre malgré tout ce chaos. Ignorant ce qu'ils font là, ils errent sans cesse à la poursuite de fantômes qu'ils ne voient jamais, sauf à de rares occasions et souvent cela signifie qu'un des leurs vient de se faire tuer. Il y a la vie que chaque jour les gars de la compagnie s'efforcent de soustraire à la guerre qui les cerne, pour les engloutir comme une bête sans cesse affamée. Cette vie qu'il faut rendre possible par mille petits détails insignifiants, qui sont ici la base de l'existence au quotidien. Il y a la mort, qu'il faut bien finir par regarder en face, celle de l'ennemi, des civils et surtout des copains. Ces morts on les salue, on leur parle, pour éviter de croire que tout est fini pour eux, car c'est un peu de soi qui disparaît quand un copain meurt, avec lui il emmène tous les moments partagés. Et puis croire en la mort des autres c'est croire en la sienne, et ça personne ne peut s'y résoudre.
"C'étaient des durs. Ils portaient le bagage émotionnel d'hommes qui sont susceptibles de mourir. Le chagrin, la terreur, l'amour, la nostalgie […] Ils portaient des souvenirs honteux. Ils portaient en commun le secret d'une lâcheté à peine retenue, l'instinct de s'enfuir ou de se figer sur place ou de se cacher […] Ils portaient la plus grande peur du soldat, qui est la peur de rougir. Ces Hommes tuaient et mouraient, parce qu'ils auraient été gênés de ne pas le faire [.] Ils mourraient pour ne pas mourir de honte […] chaque matin ils faisaient marcher leurs jambes. Ils résistaient. Ils continuaient. Ils se soumettaient […] Il aurait suffi de tomber, mais personne ne tomber jamais. Ce n'était pas du courage [.] leur but n'était pas l'héroïsme. Ils avaient simplement trop peur pour être lâches."
Tim nous raconte son voyage au bout de l'enfer, parcourant son histoire personnelle, il revient sur les différentes périodes de sa vie, de son enfance marquée par la mort de son premier amour de jeunesse alors qu'il avait 9 ans, en passant par son périple Vietnamien, jusqu'à aujourd'hui où devenu écrivain il s'efforce de raconter une histoire pour que Tim l'adulte sauve Timmy, l'enfant qu'il était autrefois.
Empruntant des détours narratifs nécessaire à l'exacerbation du message qu'il tente de faire entendre, l'auteur réinvente son histoire afin de nous exhorter à ressentir ce que lui-même a ressenti à l'épreuve du feu. Nous faisant comprendre ainsi que "la vérité du récit est parfois plus vraie que la vérité des événements" et que la juxtaposition des deux rend la perception de l'histoire et de ses drames, que plus réelle.
La vie de l'auteur s'est figée un jour de pluie au Vietnam, comme si une porte s'était à jamais refermée, le laissant seul face aux stigmates d'une vie brisée.
Tout a basculé lors d'une patrouille aux abords d'un village, surpris par la nuit et la pluie, le lieutenant Cross décide de s'installer dans un champ, malgré les protestations des villageois. La pluie redouble d'intensité, transformant le champ en boue à l'odeur infecte, le lieutenant comprend trop tard qu'ils se sont installés dans un champ faisant office de latrines, quand soudain retentissent les premiers coups de feu. S'enfonçant dans le champ de merde les soldats sont incapables de riposter. Kiowa, un ami de Tim, se fait tuer et se trouve englouti dans le cloaque. L'attaque terminée les soldats mettent plusieurs heures pour retrouver le corps de Kiowa. C'est là devant le corps de Kiowa que Tim prend toute l'ampleur du drame absurde qui se joue sous le ciel Vietnamien, pour eux les combattants d'une cause injuste et perdue d'avance, eux qui sont destinés à être sacrifiés au nom d'une idéologie qui n'est ni la sienne ni celle de ceux qui meurent, tout comme son copain Kiowa, dans un champ de merde.
"Quand un homme mourait, il devait y avoir un coupable [.] Le coupable pouvait être la guerre. Ou bien les idiots qui déclaraient la guerre. Ou bien Kiowa qui avait décidé de la faire. Le coupable pouvait être la pluie. Le coupable pouvait être la rivière. Le coupable pouvait être le champ, la boue, le climat. Le coupable pouvait être l'ennemi. Le coupable pouvait être les obus. Le coupable pouvait être les gens qui étaient trop paresseux pour lire un journal, qui étaient ennuyés par le comptage quotidien des cadavres, qui changeaient de chaîne dès qu'on parlait de politique. Le coupable pouvait être des nations entières. Le coupable pouvait être Dieu. Le coupable pouvait être les fabricants de munitions ou Karl Marx ou l'ironie du destin ou un vieux bonhomme d'Omaha qui avait oublié de voter. Dans le champ, cependant les causes étaient immédiates. Un moment d'inattention ou une erreur de jugement ou tout simplement un acte stupide avait des conséquences qui duraient éternellement."
Un œuvre forte et poignante, que je ne saurais que trop vous conseiller. Au-delà de la souffrance endurée par l'auteur durant la guerre, ce qui est à retenir ce sont les implications (pour ne pas dire les responsabilités) des individus (dont je fais partie) et des sociétés (dont nous faisons tous partie) qui, n'ayant pas d'objectifs universels communs clairement définis, trompés en cela par les politico-lobbyistes (élus par nous) qui précipitent nos destins dans un monde mercantile en déliquescence, se voient réduits à collaborer à la perpétration de l'inhumanité, dans un silence assourdissant et avilissant.
À propos de courage 9 étoiles

À propos de courage raconte comment l'auteur Tim O'Brien a vécu la guerre. Il comment il a reçu la mauvaise nouvelle de son engagement, comment il a vécu la guerre et son après guerre. Dans ce livre, il y a du vrai et du faux. O'Brien le dit lui-même. Cependant, tout cela sert à montrer ce que peut être l'enfer d'une guerre où des jeunes de 18 ans vont se faire tuer sans même savoir pourquoi.

Ces jeunes participent à des combats et développent une camaraderie. Malheureusement plusieurs d'entre eux meurent et ceux qui reviennent sont parfois traumatisés de ce qu'ils ont vu ou ce qu'ils n'ont pas pu faire pour sauver plus de vie.

Il y a aussi une certaine colère dans ce roman contre ceux qui se disent patriotes et qui louangent la guerre sans eux-même l'avoir fait.

Je crois que ce récit peut s'appliquer à presque toutes les guerres. Si on recueillait les témoignages des soldats qui ont été en Afghanistan ou en Irak, l'image générale serait la même mais dans un milieu différent. C'est un bon livre pour comprendre ce que vivent personnellement les soldats en guerre.

Exarkun1979 - Montréal - 45 ans - 25 octobre 2012


Au Vietnam, rien de nouveau 10 étoiles

Vietnam, 1968. Le soldat O'Brien raconte la vie et les combats d'une escouade de G.I's affectée à des patrouilles dans la jungle et les rizières.
L'absurdité et l'horreur de la guerre vont frapper ces recrues d'à peine 20 ans, commandées par un lieutenant qui en a 24. Par une suite de courts récits, on découvre leur initiation à la mort, à l'angoisse permanente d'un ennemi invisible, à la gestion de leur traumatisme, mais aussi la naissance de belles amitiés. Certains chapitres (la fuite vers le Canada, la vengeance sur un veau, le premier ennemi tué, la mort du soldat Kiowa) sont tout simplement époustouflants.
L'écriture d'O'Brien est simple, directe, facile à lire. Son style basé sur des anecdotes crée une certaine esthétique de l'horreur et rappelle parfois celui de Malaparte. Né en 1946, il est sans doute le plus grand auteur américain de cette génération en ce qui concerne l'évocation du vécu des simples soldats. Mais le lire en français est devenu difficile. Son œuvre, parue en poche en 10-18, est hélas aujourd'hui presque introuvable. Seul ce récit paru en 1990 est réédité chez Gallmeister.
Je suis consterné d'en être seulement le deuxième commentateur.

Je vous conseille de découvrir sans hésiter ce récit de guerre d'une puissance rare, et de lire en parallèle le « Chagrin de la guerre » de Bao Ninh, auteur Vietnamien qui évoque les mêmes faits du côté Viêt-Cong.

Poignant - Poitiers - 58 ans - 10 août 2012