L'île de la Merci
de Élise Turcotte

critiqué par Libris québécis, le 25 octobre 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'adolescente et son corps
.lise Turcotte est le poète du corps. D'ailleurs, la traduction anglaise de L'œle de la Merci s'intitule The Body's Place. Le corps vu comme moyen d'appréhender le monde. Le dilemme de l'héroïne consiste justement à trouver la voie qui mènera le sien dans le sillage de l'humanité. L'auteure renoue ainsi avec la perception positive que le Moyen Âge et la Renaissance avaient de l'anatomie, et qui a favorisé l'éclosion des chefs-d'oeuvre des grands artistes de l'époque. Tous les nus qui ornent le Vatican témoignent du culte que l'on vouait au corps comme outil de connaissance.
Ce roman rend compte de cette dynamique à travers le personnage d'Hélène, une adolescente de Montréal, qui habite près de l'île de la Merci. L'héroïne est en quelque sorte l'âme de sa famille, copie de celles maintes fois évoquées dans les romans québécois. Des parents distants pris dans le tourbillon de la vie, qui comptent sur la débrouillardise de leurs rejetons pour se conformer à la devise du boulot-euro-dodo. Les enfants ne manquent de rien, sauf de l'essentiel.
L'histoire se déroule à la saison estivale alors que l'héroïne doit s'occuper davantage de sa soeur et de son frère. Tâche difficile puisqu'elle s'est trouvé un emploi de pompiste pour l'été. De prime abord, on dirait du déjà vu. Ce n'est que le canevas sur lequel se dessinent rapidement les incidents qui la marqueront au moment même où sa crise d'adolescence atteint son paroxysme. Il faut qu'elle découvre son identité, qu'elle détermine ses relations à autrui, en particuliers celles à ses pairs de sexe masculin, et qu'elle s'insère dans un monde marqué par l'absence de valeurs et stigmatisé par la violence.
L'île de la Merci lui fournit les outils nécessaires pour accomplir la lourde tâche qui l'attend pour l'été de ses quinze ans. On y découvre le corps d'une adolescente violée et assassinée. Cet événement rattaché à ce lieu lui servira de référence pour appréhender l'univers auquel elle doit s'intégrer. Ce n'est pas très engageant, pas plus d'ailleurs que ses liens familiaux très peu conviviaux. Devant ce dilemme, Hélène se demande comment son corps pourrait lui servir d'instrument pour s'adapter à cette société. Pour l'instant, il représente davantage un obstacle qu'une solution. C'est bien connu : les adolescent(e)s sont gauches. Même en amour, elle ne sait pas s'en servir. «Que ça finisse au plus vite!», se dit-elle lors de sa première expérience.
Cette transition dans la vie humaine s'accomplit donc pour elle sous le signe du fiasco et de la catastrophe. L'adolescence est une pente pour experts, mais que seuls les novices sont appelés à descendre. Le monde à l'envers. Trouver sa rédemption pose un défi de taille dans de telles conditions. Et souvent la fatalité vient mettre en place les pièces du puzzle de l'existence. L'énigme voit donc son dénouement salutaire dans l'expérience de la souffrance, prélude à un sain équilibre. L'écriture simple du roman ne dévie pas du projet de l'auteure. Elle jette une lumière saisissante sur la réalité des adolescent(e)s, souvent perturbé(e)s par une société pas toujours édifiante.