Le voyage à Rome
de Alberto Moravia

critiqué par Sissi, le 29 juillet 2014
(Besançon - 54 ans)


La note:  étoiles
"Pourquoi le mal existe-t-il?"
Un jeune narrateur qui se dit poète alors qu’il n’a jamais rien écrit (Apollinaire a déjà tout fait) et qui vient à Rome- pas franchement motivé mais mû pas son éternelle « disponibilité »-pour découvrir ce père qu’il n’a quasiment pas connu, le spectre d’une mère dévoreuse d’hommes, petit animal charnel très proche de ses désirs, un père qui se décrit comme le mélange de Othello et de Iago, une adolescente faussement innocente, une femme dévote et abstinence, une autre perfide et assoiffée de sexe, une bonne très portée sur la chose elle aussi, voilà les personnages qui vont évoluer durant le séjour de Mario dans la ville éternelle, cadre récurrent chez l’auteur.

C’est à travers le prisme de la sexualité et de la libido que leurs relations se nouent, dans des joutes verbales et une introspection du narrateur très fouillées mais brouillées par l’incompréhension mutuelle, les désirs inconscients et incompatibles qui faussent la donne, l’impossibilité qu’ont les êtres à nouer de vrais rapports sincères.

Mario de Sio découvre sa mère, décédée lorsqu’il était très jeune, à travers les yeux de son père, Othello/Iago revendiqué, mais aussi à travers les siens propres lorsqu’il se souvient fugacement puis précisément avoir assisté malgré lui à l’une de ses relations sexuelles avec un de ses amants, ce qui reste une traumatisme bien ancré.
Harcelé par la compagne de son père, partagé entre une femme et sa fille, hanté par le souvenir de sa mère, Mario se pose cette lancinante question « pourquoi le mal existe-t-il ? », en d’autres termes pourquoi les êtres sont-ils condamnés à se blesser ?

Le mensonge, les faux-semblants, les logis confortables qui ne sont pourtant jamais propices à l’apaisement, les illusions dans lesquelles on se fourvoie, l’inanité de l’existence, la petite bourgeoisie romaine pervertie, la libido qui régit, consciemment ou non, tous nos actes, on retrouve tous les thèmes chers à Moravia et son souci de décortiquer jusqu’à la moëlle la nature et le fatal échec de toute relation.
Dommage que l’intrigue se dilue un peu dans quelques longueurs, et qu’on ne ressente pas le côté très abouti des Indifférents ou de Agostino.

Sans doute pas le meilleur Moravia, donc, mais une œuvre très moravienne.