La réserve
de Ian Frazier

critiqué par Folfaerie, le 10 octobre 2003
( - 55 ans)


La note:  étoiles
pour comprendre l'âme indienne
La Réserve se présente comme un document ethnologique et un témoignage sur la vie des Sioux, aujourd'hui, dans les réserves. L'auteur, passionné d'histoire amérindienne, a décidé de peindre le quotidien de quelques amis sioux, dans la célèbre réserve de Pine Ridge, Dakota. A travers Leonard, surnommé Leh, âgé d'une soixantaine d'années, alcoolique, conteur (menteur ?) et bohème, Frazier découvre, ainsi que le lecteur, de quelle façon ce grand peuple continue de résister à la mondialisation de sa culture.
Cette amitié vieille de 20 ans, qui unit l'auteur et Leh est souvent chaotique car Leh n'envisage pas le temps et la vie de la même façon que Frazier, mais elle est toujours riche et chaleureuse. Et elle est faite de tolérance et de compréhension.
A découvrir cette vie, il apparaît que la mentalité indienne n'a guère changé depuis
Red Cloud, Crazy Horse et les autres. C'est peut-être là que réside l'explication de cette résistance. Par delà les problèmes, la violence et la pauvreté, qui sont le quotidien de Pine Ridge, l'âme sioux fait échec aux tentatives d'américanisation. Bien sûr, le taux de mortalité est élevé sur la réserve, les accidents de la route sont mortels et l'alcool est le principal fléau, mais l'identité indienne ne se satisfait des standards américains et il y a une douloureuse ironie à constater que ces fléaux sont aussi les principaux gardes-fous de la nation Sioux. Comment expliquer aux bureaucrates de tous bords, et aux simples citoyens, que la réussite sociale et financière ne sont pas les priorités des Indiens, du moins à titre individuel ?le problème demeure toujours. Car la plupart des Sioux savent fort bien que leur intégration dans la société américaine signifie la mort de leur culture. (C'était le thème d'un des romans de James Welch :"l'avocat indien" qui rendait bien cette fatalité). Leh incarne bien toutes ces contradictions, mais parvient sans aucune confusion à expliquer son point de vue. Ce n'est pas un constat amer et désespéré car le livre de Frazier
nous laisse entrevoir un avenir plus prometteur pour les Amérindiens, une lueur encore incertaine, mais vivace et ne demandant qu'à grandir. J'espère en tout cas qu'ils vont vers des jours meilleurs.
Ethnologue, mais pas trop 8 étoiles

Ian Frazier est fasciné par les Indiens, mais pas au point de s'accaparer certains symboles identitaires qui ferait de lui un pseudo indien à l'aide d'un nom indianisé ou d'une quelconque apparence vestimentaire. Non hormis une queue de cheval, le seul "concept indien" qu'il revendique, c'est l’esprit de liberté comme fondement de l’existence. Cet esprit de liberté, qui a permis aux indiens de résister à l’aliénation culturelle imposée par la société dominante et de déjouer tous les programmes successifs visant à leur éradication du système américain. Conscient de l’impacte parfois néfaste des ethnologues sur les peuples autochtones qu’ils observent comme des bêtes curieuses, traînant dans leur sillage les relents putrides d’une société à la compassion calculée, l’auteur se défini avant tout comme un citoyen conscient de la responsabilité du gouvernement américain envers les premiers occupant de ce pays. Sur lequel s’édifia une nation libre, qui rapidement se mua en ogre étatique avide de conquête, sans soucis aucun du respect d'une civilisation millénaire. Il n'oubli pas de rappeler que les premiers colons européens doivent leur survie aux indiens, et que par la suite ceux ci leur transmirent de nombreuses richesses, qu’elles soient agroalimentaires ou socioculturelles (la constitution des Etats Unis fut inspiré par la Confédération Iroquoise qui unifia six nations indiennes du nord).

Son amitié avec Leh, qui oscille entre fâcheries et réconciliations, illustre bien la difficulté inhérente au contentieux historique qui marque la frontière entre deux cultures que beaucoup de choses opposent. Ian Frazier s’efforce de préserver cette amitié privilégiée, malgré les difficultés qu’engendrent les réactions imprévisibles de Leh, par son comportement vagabond qui le rend aussi insaisissable qu’une anguille en eaux trouble. Ian dissimule rarement son exaspération envers Leh qui n’hésite pas à débarquer chez lui à l’improviste, accompagné d’amis tous imbibés d’alcool, réclamant de l’argent pour disparaître aussitôt après, sans qu’il lui soit possible de le contacter avant une longue période. De son coté Leh semble éprouver des sentiments amicaux sincères pour Ian, même si on sent qu’il ne peut s’empêcher de voir en lui un représentant (involontaire) des Wannabe, ceux là même qui ont humilié son peuple, le réduisant à une image folklorique destinée à amuser les touristes. Mais ces petites vicissitudes passagères n’entravent pas, malgré tout, une affection indéfectible entre les deux hommes devenus inséparable au fil du temps.

Loin du misérabilisme, souvent de mise lorsqu’il s’agit d’évoquer la vie sur les réserves, l’auteur nous emmène là où l’espoir naît grâce aux initiatives de certains membres de la communauté qui luttent pour que leurs enfants aient une chance d’échapper aux pièges motels importés par l’homme blanc, l’alcool et la drogue.

Ce récit, qui s’efforce d’être le plus objectif possible, raconte le quotidien des indiens vivant sur la réserve, fait de malheurs et d’actes salutaires, prouvant que les Sioux ne sont pas uniquement un peuple qui s’étiole à l’ombre des nombreux débits de boissons qui bordent la frontière entre la réserve et l’état du Nebraska. Pour le plus grand profit des tenanciers blancs qui ne voient en l’indien qu’une source de revenus providentiels, qu’ils ont eux-mêmes créée en introduisant, il y a bien longtemps de cela, le whisky dans les tipis.

Heyrike - Eure - 57 ans - 21 avril 2004