Lettres du pays froid
de Caroline Lamarche

critiqué par Kinbote, le 8 octobre 2003
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
L'art et la mort
La narratrice, lauréate du prix Lauzelle, pour un ouvrage de poésie sur Frida Kahlo rencontre Alexis, jeune homme suicidaire. Elle entreprend de le sauver par l’art, en lui apprenant à écrire.
« La stratégie était simple. J’encadrerais par une discipline artistique la vie flottante d’Alexis, j’animerais son île déserte. L'exclusion, d’irréparable, deviendrait nécessaire : la condition même de son travail d'écrivain .»
Elle est sûre de réussir. Mais Alexis est au-delà (ou en-deça) de l’art.
Et très vite, elle abandonne, et Alexis lui écrit des lettres dont des passages ne cessent de la tarauder, de remuer un intérieur propice à la folie. Elle est amoureuse de Loup, son mentor, bisexuel. Elle a la charge d'écrire le scénario d’un téléfilm mais elle ne convainc pas le producteur. Elle échoue là aussi. On pense à la phrase de Beckett : « Etre artiste, c'est échouer comme personne. » Le trio mis en place fait communiquer du désir, de la violence et de l’amour entre ses membres jusqu’au sacrifice d'un des deux.
Il reste un livre hanté - évidemment - par le froid, les mouvements contrariés et qui est servi par une écriture âpre, toujours à la limite de la « correction », qu'on goûte avec les nerfs.
Un univers fait d'exigences avec ces archétypes d'hommes, comme dit la narratrice à propos de l'un d’eux. Des hommes incomplets, mutilés, entre grâce et laideur, qu’on n'est pas obligé de trouver beau, comme si la beauté toute faite n'était pas aimable et qu'il fallait, pour attirer le sentiment, toute la limaille des sensation, un travail de l'a(i)mant, une initiative qui rende l'aimé beau et adorable.
Le quatrième roman de cette écrivaine rare qui écrit pour se mettre en danger et se sauver entraîne son lecteur dans sa prise de risque. Chute et vertige, entre cimes et profondeurs.
Tourmentée 6 étoiles

Troisième roman que je lis à la suite de Caroline Lamarche et je commence à me faire une idée de sa valeur littéraire. Si son dernière ouvrage « La fin des abeilles » comportait un élément autobiographique et donc plus construit que le présent roman, le lien que je fais avec « L’ours » révèle plus les obsessions de l’autrice.

C’est donc bien le manque d’inspiration, la souffrance des écrivains qui en seraient les points communs.

Ceux-ci apparaissant comme de véritables martyrs en tentant de donner dans la douleur naissance à des livres, souvent critiqués ou confidentiellement récompensés par les honneurs hypocrites de leurs paires, jaloux ou dénigrants.

Le contexte qui était chez «L’ours», la chasteté au côté d’un homme d’Eglise comme espoir de catalyser le talent, devient ici plus le défi de séduire Alexis, un jeune homosexuel suicidaire. Je dois avouer que je ne suis pas davantage convaincu par cette thèse.

Caroline Lamarche apparaît bien comme une autrice tourmentée, à l’écriture recherchée, mais sans pour autant être dans la complexité gratuite. Les personnages sont des êtres oisifs, tournés vers eux-mêmes, très « françoisesaganiens », quand bien même l’écriture soit moins fluide chez notre autrice du jour.

Restant sur une note positive, j’ai apprécié les courts chapitres qui structurent le roman, mais aussi les différents parallélismes entre la vie tumultueuse de Frida Kahlo et les différentes situations décrites dans le roman.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 13 mai 2022


Lettres du pays froid 10 étoiles

Roman excellent: complexe, riche, composé, fin. Une vraie sensibilité, une vraie intelligence littéraire. Chose rare, comme on sait. Dépasse de loin le roman bien écrit dont il y a tant. On sent le travail solitaire approfondi.

Jim - - 86 ans - 20 juin 2004


Presque bien ! 5 étoiles

Caroline Lamarche possède un vrai talent d'écrivain : son écriture est sensationnelle. Le mot est juste, le récit est fluide, elle a le sens de la formule, son roman est parfaitement construit, ses descriptions sont des modèles : il y a par exemple, dans "Les Lettres", la description d'une grande librairie à Bruxelles, avec la libraire rousse, qui est un vrai régal parmi tant d'autres.
Tout son récit est parsemé de digressions sur la société, la nature, le comportement des gens, où l'auteur(e) montre une intelligence et un sens de l'observation qui devrait faire d'elle une grande romancière.
Eh ! bien, il n'en est rien ! Tous ces dons et qualités n'arrivent qu'à nous donner un tout petit roman. C'est un récit écrit à la première personne, où nous suivons la narratrice aux prises avec ses personnages, marginaux et pervertis, dans un petit monde oisif et frelaté. Tout y est : l'homosexuel, le bisexuel, le suicidaire, le mari impuissant, la mère possessive, la Lolita-sur-le-retour... Tout ce beau monde et, surtout la narratrice, sont atteints de mélancolie : "mélancholia", mal à la mode, mal qu'on cultive avec délice, donc incurable. Mal considéré comme péché capital au moyen-âge.
Mais Caroline Lamarche ignore tout du bien et du mal, du vice et de la vertu ; elle choisit systématiquement de réduire ses personnages à leur dimension psychologique. C'est regrettable parce qu'à force de nier ces valeurs de la conscience humaine, elle finit par ne créer que des prototypes de psychologie clinique, des archétypes qui manquent singulièrement de consistance et de vérité.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 3 mars 2004