La fille de mon meilleur ami
de Yves Ravey

critiqué par Malic, le 13 juillet 2014
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Roman noir décalé et jubilatoire
Juste avant de mourir le meilleur ami de William lui demande de retrouver sa fille, Mathilde, perdue de vue. Ce début vous rappelle peut-être « Les tontons flingueurs » ; référence assumée puisqu’un personnage se nomme Simonin, comme Albert, l’auteur du roman à l’origine du film. Mais si vous vous imaginez que vous allez avoir droit à une resucée de cette pellicule culte, vous faite fausse route : on ne saura jamais comment William a repris contact avec la jeune femme, ni quelles ont été leurs relations depuis, car l’histoire du roman se déroule deux ans plus tard. Cette fois, c’est Mathilde qui demande à William de l’aider à revoir son fils, lequel vit avec son père et la nouvelle épouse de celui-ci, Sheila.

William va devoir user de toute sa persuasion, et des moyens de pression que lui offrent les circonstances, pour convaincre Sheila d’accepter une entrevue entre Mathilde et l’enfant, malgré l’interdiction du juge. Les circonstances donneront également à William l’occasion de faire main basse sur un pactole.

Si William nous apparaît d’abord comme un brave type toujours prêt à rendre service, on s’aperçoit bientôt que c’est aussi un imposteur et un escroc, ne reculant pas devant des combines vraiment peu reluisantes, voire honteuses. Pourtant il reste sympathique, sans doute à cause de son côté loser et farfelu. Quant à Mathilde c’est une jolie fofolle et même plus que fofolle puisqu’elle a fait un séjour en asile psychiatrique. Incapable d’élever son enfant mais capable en revanche de faucher un grand sac de sous-vêtements dans un magasin. Avec elle, on comprend que William, déjà très apte à se mettre tout seul dans des situations pas possibles, ne pourra que s’attirer des ennuis supplémentaires.

On trouve dans ce roman nombre d’éléments du roman noir : héros ambigu, femme fatale calamiteuse, course au fric, flics soupçonneux, hommes de main, moments de suspense. Mais c’est un roman noir décalé, où l’on disserte sur le milk-shake à la fraise et où les discussions avec les flics virent à l’absurde.

Le mode de narration évoque lui aussi le roman noir tel que l’ont créé Hammett et Chandler : pas de psychologie. Les personnages agissent ; leurs émotions et motivations restent à deviner, y compris pour William, le narrateur. Le style est limpide, sans effets voyants, proche d’une « écriture blanche » (rien d’étonnant s’agissant des Éditions de Minuit.)

Un polar décalé qui captive avec une intrigue en apparence très classique mais un art subtil de raconter. Drôle et palpitant, bref, jubilatoire d’un bout à l’autre. Je vous laisse en particulier découvrir l’astuce narrative par laquelle l’auteur rend les dernières lignes à la fois flippantes et irrésistibles d’ironie
Entre immoralité et moralité 7 étoiles

Lors du dernier Salon du livre de Paris, j’ai voulu profiter de la présence d’Yves Ravey pour le faire enfin figurer parmi les auteurs dont j’ai lu au moins un livre. Je savais qu’il était comme moi bisontin mais j’ai découvert que nous avions été voisins pendant quelques années bien lointaines maintenant. C’est donc avec un plaisir redoublé que j’ai acquis ce livre que je commente aujourd’hui.

C’est un petit roman composé de chapitres souvent courts, écrits avec des phrases elles aussi courtes, un roman qui va à l’essentiel qui ne se noie jamais dans des détails inutiles ou des digressions ennuyeuses. L’auteur emprunte les chemins littéraires les plus courts, avec des phrases précises nourries d’un vocabulaire très choisi, pour dénouer une intrique plutôt tortueuse.

Elle raconte les aventures de William, un homme d’âge mûr qui a promis à son meilleur ami alors qu’il est mourant sur son lit d’hôpital, de veiller sur sa fille, Mathilde, à la santé fragile, elle a déjà séjourné dans un établissement spécialisé. Mais Mathilde finit par entraîner William dans un expédition pour rencontrer son fils dont la garde exclusive a été confiée à son mari remarié dans la région parisienne. La nouvelle épouse s’est attachée à l’enfant, elle se comporte comme sa mère et ne voudrait surtout pas qu’on lui retire cet enfant qu’elle considère comme le sien.

Mathilde et William ont en commun un certain laxisme à l’endroit de l’honnêteté, ils laissent facilement traîner les doigts dans les rayons des magasins, ils sont tous les deux capables d’inventer les pires histoires pour justifier leurs minables carambouilles. William en invente une à dormir debout pour convaincre la nouvelle mère de l’enfant de laisser sa mère génétique avec lui pendant un petit moment au moins mais, en même temps, il constate qu’il peut exploiter les activités du mari pour renflouer son patron qu’il a spolié sans vergogne aucune. Mathilde ne reste pas inactive pendant qu’elle attend le résultat des négociations avec la famille de son fils, elle aussi a trouvé un moyen de gagner quelques sous. Ils se retrouvent ainsi avec un wagon de mensonges à gérer entre eux et avec tous ceux qui les entourent.

Une intrigue courte mais bien remplie, la vertu n’y est pas encensée, c’est le hasard qui finira peut-être par conclure cet enchevêtrement de combines ou alors c’est une leçon de morale que l’auteur adresse à tous les malfrats pour leur montrer qu’un jour ou l’autre ils finiront par se prendre les pieds dans le tapis qu’ils ont eux-mêmes mal étiré.

Débézed - Besançon - 77 ans - 14 juin 2018


Une tranche de vie. 7 étoiles

Oui, une tranche de vie. « La fille de mon meilleur ami » c’est un peu une tranche de la vie de William, l’ami de la vie militaire de Louis, et de Mathilde, la fille de Louis.
Louis vient de mourir à l’hôpital militaire et il a révélé à William l’existence de sa fille Mathilde. Il lui demande de veiller sur elle.

« Je suis arrivé un soir d’orage, après plusieurs heures de route, à l’hôpital militaire de Montauban, la lettre de Louis dans la poche. Il voulait me voir, me parler, m’avait-il écrit de sa plume fatiguée. Louis était mon meilleur ami. Nous nous étions connus en Afrique, dix ans auparavant, et nous ne nous étions jamais perdus de vue.
Il avait encore trois jours à vivre, et je l’ai veillé du matin au soir. C’est alors qu’il m’a révélé l’existence de sa fille, Mathilde, dont il avait perdu la trace. Il savait seulement qu’elle avait passé plusieurs années en asile psychiatrique, dans le sud de la France, et que, pour cette raison, le juge lui avait retiré son enfant au moment du divorce. »

Asile psychiatrique, enfant retiré : les mots clef du roman … D’abord qui a déjà lu Yves Ravey sait que les personnages de ses romans sont passablement torturés, « borderline », et que généralement … ce n’est pas la Happy End in fine.
Yves Ravey prend donc le pan de vie de William, au moment où Mathilde lui demande assistance pour une entreprise particulièrement casse-gueule - retrouver et rendre visite à son fils, placé - et nous lâche dans le décor une fois la situation sérieusement partie en vrille et … démerdez-vous avec la suite et fin de l’histoire …
Une tranche de vie, vous dis-je. Toujours dans le style et les us d’Yves Ravey. C’est-à-dire des romans d’une brièveté remarquable, des personnages « borderline », des situations qui ne peuvent que mal finir (et de fait … !) et une description disséquée des rouages infernaux qui broient l’individu un peu faible voué à être broyé. « La fille de mon meilleur ami » n’échappe pas à la règle …

Tistou - - 68 ans - 20 avril 2015