Le Feu de mon père
de Michael Delisle

critiqué par Libris québécis, le 11 juillet 2014
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Enfant battu et poésie
Les relations père-fils inspirent plus d’un auteur. Généralement, avec cette thématique, on peut s’attendre à un règlement de compte entre un géniteur et un rejeton victime de son absence ou de son silence que l’on ne peut qualifier d’éloquent. Souvent la violence sert de moyen de communication afin de compenser les carences paternelles. L’agression physique est un métalangage qui devrait avertir l’enfant de se méfier du pattern du manque afin d’éviter que se réalise l’adage qui veut que le fils soit le portrait de son père.

Heureusement, ce récit s’élève au-delà de cette réalité douloureuse pour déborder sur l’art d’être poète. Jamais enfant battu et poésie n’ont fait aussi bon ménage. Michael Delisle sait trouver les mots pour exprimer l’indicible à l’instar de Marie Cardinal. Et comme chez cette dernière, l’amour et la haine se confondent. « Cet animal lui a donné la vie ». C’est un lien difficile à rompre. Même si l’auteur réalise que son père est un homme « sans envergure », un suiveux qui a marché dans les pas du soi-disant oncle Léo, il s’applique à reconnaître sa filiation pour nourrir sa vocation d’écrivain.

Cette mission ne suit pas les ornières du récit. Elle transcende plutôt le genre en l’épurant de tous ressentiments ou de toutes admirations qui font le diable ou le démon. L’auteur cherche plutôt à se purifier de sa relation malsaine par le feu qui anime tout de même son père. Un feu qui a fait de lui un bandit qui s’est converti au mouvement charismatique. Ce n’est pas l’homme du juste milieu. C’est le type du combat extrême qui ne peut se départir de son arme qu’il appelle feu, d’où le titre de l’œuvre. « Mon feu est-il dans le coffre à gant ? » Il est toujours prêt à dégainer, même en direction de sa femme, qui s’est servi de son fils Michael comme bouclier quand la situation s’est présentée.

L’auteur n’a pas connu une vie de tout repos. Il lui a fallu surnager pour ne pas se noyer. Sa bouée de sauvetage lui est venue de la poésie. C’est la voie de la résilience qui lui a permis de s’élever au-dessus de la mêlée afin de survivre aux manquements paternels et d’aimer en dépit de tout son bourreau parce qu’il est tout simplement son père.

Il faut une bonne dose d’humilité pour aborder cette thématique sous un angle constamment défavorable. Et pourtant, Michael Delisle parvient à grandir dans une relation amour-haine sans détruire l’image paternelle. L’auteur s’est livré à un exercice difficile, mais qu’il a parfaitement exécuté. Il épargne ainsi aux lecteurs de suivre une trame fastidieuse et sans originalité. Bref, c’est beau, mais c’est dur.