La méprise
de Vladimir Nabokov

critiqué par Pendragon, le 5 octobre 2003
(Liernu - 54 ans)


La note:  étoiles
Il s'est fait doubler...
Voilà un livre d’un genre particulier, dans ce style bien précis qui consiste à prendre le lecteur à partie dans une histoire et où on lui parle, on le prend par la main comme s’il était complice. Dans ce cas, puisqu'il est fait mention d'un meurtre, il s’agit bien de complicité au sens propre du terme.
L'histoire est simple : le narrateur tue un homme ! Et il estime qu'il s'agit là d'un crime parfait puisque cet homme est son double parfait, il ne lui reste plus qu'à le vêtir de ses habits et le tour est joué, un beau crime insoluble ! Oui, mais...
Le talent de Nabokov réside ici dans ses non-dits, l'auteur semble raconter tout ce qui se passe au lecteur, jouant la carte de la franchise totale, il tente de s'en faire un ami, mais, mais, on se rend compte après quelques pages qu’en fait, le narrateur est un tant soit peu dérangé et qu'il omet, ou éradique, ou ne voit simplement pas certains détails. Ainsi, il est évident que le « double » n'est pas si ressemblant que cela, il est évident que sa femme le trompe avec cet Ardalion, etc. C’est là la force de Nabokov, qui, malgré le fait qu'il soit le seul maître du récit (puisque c’est lui l’écrivain), il nous force à penser des choses qui ne sont pas écrites et qui sont pourtant d’une évidence à toute épreuve. C’est assez rare de voir une telle suggestion faire force de loi dans un roman, c’est une prouesse littéraire qu'il me faut souligner.
En dehors de cela, le style et l'écriture sont agréables et faciles, prenants, intimistes...
Un autre Humbert 8 étoiles

Le narrateur est encore un obsédé. Amoureux de sa propre gueule, celui-là, puisqu'il la voit même sur la tête des autres. Il monte une machination complexe, et derrière... rien, le vide!
Excellent roman.

Sinz - - 43 ans - 22 avril 2022


Belle imposture 10 étoiles

Nabokov écrit en russe « La méprise » en 1932 sous le titre Otchayanié (Désespoir). Après avoir entièrement révisé le roman en 1965, Nabokov précise : « La méprise […] n’a aucun commentaire social à faire, ni aucun message à accrocher entre ses dents. Ce livre n’exalte pas l’organe spirituel de l’homme et n’indique pas à l’humanité quelle est la porte de sortie. » Le lecteur est prévenu.
Hermann, homme d’affaires allemand, travaille dans le chocolat. Il vit à Berlin avec sa femme Lydia. Un jour, le voilà à Prague pour affaires. L’homme qu’il doit rencontrer n’est pas là. Alors pour tuer une heure Hermann va battre la campagne alentour. Dans une clairière, il aperçoit un homme allongé de tout son long. Il s’approche. L’homme dort. Hermann, du bout de son élégante chaussure, fait sauter la casquette de son visage. Apparition vertigineuse. L’homme allongé est son parfait sosie.
Sorti de sa stupeur, Hermann, gredin patenté, va mijoter un mauvais tour. Car, finalement, son affaire de chocolat tourne au vinaigre. Et son providentiel double est synonyme d’une classique escroquerie à l’assurance.
Comme l’écrit Nabokov à propos de son roman, « sa structure simple et son intrigue plaisante » réjouiront les lecteurs ordinaires. Mais La méprise n’est pas qu’un simple thriller.
Hermann, le narrateur, écrit : « Si je n’avais pas eu en moi ce talent [d’écrivain], rien du tout ne serait arrivé. » Très vite on s’aperçoit à des petits détails que notre ami est quelque peu dérangé. Mais ce filou d’Hermann écrit fichtrement bien.
Derrière Hermann, il y a la patte du maître es magie Nabokov : « De temps à autre, un nuage escamotait le soleil qui reparaissait comme la pièce de monnaie d’un prestidigitateur. » Nabokov a toujours abordé la littérature comme un art. Et si Hermann Nabokov a raison en écrivant : « Toute œuvre d’art est une imposture », alors La méprise est une formidable escroquerie.

Ravenbac - Reims - 59 ans - 15 mai 2011


Tout le monde peut se tromper 7 étoiles

Un des ressorts classiques de Nabokov, c’est finalement : une idée fixe, une obsession d’un être lui-même un peu « dérangé », un peu « à côté ».
C’est le cas dans « la méprise ».
Le narrateur, puisque c’est lui qui nous raconte l’histoire, rencontre incidemment un homme qui lui semble avoir une ressemblance physique formidable avec lui-même. Il nous le fait comprendre ainsi, le narrateur. Mais Nabokov, lui, se débrouille pour qu’on comprenne bien, dès le départ, qu’il y a un loup, une faille, dans la ressemblance ainsi décrite. Ainsi donc, le narrateur est persuadé avoir trouvé son double, et une idée diabolique germe dans son cerveau ; réaliser le crime parfait en se faisant passer pour mort via son fameux double, de là escroquerie à l’assurance-vie, nouveau départ, …
Nous assistons donc à la germination de l’idée diabolique dans le cerveau du narrateur, en direct puisque c’est le narrateur … Et en même temps, Nabokov sème tous les éléments indispensables pour permettre au lecteur de sentir croître un malaise, de comprendre que la faille entrevue au début est un gigantesque chausse-trappe. Peu à peu, la perception que nous avons du narrateur évolue et nous prenons nos distances. Les distances qu’on peut prendre vis à vis d’un individu « dérangé ».
Dès lors la fin est prévisible, attendue, et elle sera conforme à l’attente. On assiste en fait au mécanisme infernal qui envoie un homme droit dans le mur. Et ça aussi c’est en quelque sorte une constante des ouvrages de Nabokov. L’idée fixe et tous les moyens mis en oeuvre pour son assouvissement concourrent à la déchéance de l’individu.
Une écriture particulière, un style propre à Nabokov, au service d’idées un peu tordues. Un bon moment de littérature.

Tistou - - 68 ans - 1 juin 2007