La dernière frontière
de Howard Fast

critiqué par Myrco, le 15 juillet 2014
(village de l'Orne - 75 ans)


La note:  étoiles
Une tache de plus dans l'Histoire des USA
C'est au récit tragique et insensé mais hélas réel, à une dénonciation du traitement de la question indienne, que nous convie Howard Fast, l'auteur du célèbre "Spartacus", au terme d'un travail d'enquête et de reconstitution difficile, soixante ans après les évènements. Ce livre paru en 1941 (courageux pour l'époque), sorti en traduction française en 1952 sous le titre "Le Dernier espoir", vient d'être réédité dans la collection Totem de Gallmeister (*)

Nous sommes en 1878. Treize ans après la fin de la Guerre de Sécession, la nation américaine est réunie, la conquête de l'Ouest achevée. Le chemin de fer réunissant désormais Atlantique et Pacifique, ce que l'on nommait la Frontière, à savoir la zone située au-delà du front pionnier n'existe plus. Les clôtures continuent d'envahir la Prairie et les populations autochtones ainsi que les troupeaux de bisons dont ils tiraient leur subsistance ont été quasi exterminés. Parmi ceux qui restent: des Cheyennes chassés des riches plaines du Wyoming.
Que faire de ces derniers "sauvages"? La nation bien-pensante leur consent "le plus lugubre et le plus ingrat de tous les pays des plaines": l'Oklahoma. Dès lors "toutes les autres frontières ayant été effacées, seule une dernière frontière circulaire enserrait encore (ce) Territoire indien. "

Au cœur de la réserve survient alors "un incident (...) un tout petit incident". Les habitants d'un village d' environ 300 Cheyennes manquant cruellement de nourriture, succombant à la malaria, une délégation de leurs chefs vient demander la permission de retourner chez eux dans le Nord ou tout au moins d'aller plaider leur cause à Washington, un laissez-passer pour la vie en somme, revendication légitime exprimée sans aucune agressivité. Permission refusée. Dès lors, sur la base d'un témoignage douteux (trois indiens auraient quitté la réserve), de conditions inacceptables émises par les autorités (incarcération de dix otages libérables contre les irrécupérables), les indiens choisissent de passer outre et d'entamer une longue marche de retour vers leur terre natale à 1600 kms au nord.
Très vite les évènements s'enchaînent; tout un écheveau complexe de responsabilités (ou d'irresponsabilités) impliquant les différents niveaux de la hiérarchie civile et militaire se met en branle.
Si les guerres indiennes appartiennent déjà au passé, la bataille de Little Big Horn et la mort de Custer sont encore présentes dans les esprits nourrissant rancoeurs et nostalgies. Les soldats dans les forts s'ennuient et certains cadres militaires bornés pour qui "les seuls bons Indiens sont les Indiens morts" rêvent d'en découdre encore. Le télégraphe alimente la rumeur de fausses agressions; et pour une certaine Amérique imbue de sa supériorité blanche et de sa mission divine, il n'est pas question que ces "sauvages" puissent jouir du droit à disposer d'eux-mêmes. Au plus haut niveau, les responsables politiques et militaires, insensibles à la réalité des drames humains qui se déroulent sur le terrain, noyés sous la paperasserie bureaucratique de rapports faussés ou incomplets, ne peuvent donner au peuple l'image d'une autorité bafouée, battue en brèche.

De l'été à l'hiver 78, ce sera l'escalade... invraisemblable: une opération de poursuite d'une ampleur disproportionnée. 13 000 soldats finiront par être mobilisés contre 150 indiens (une partie s'étant détachée), femmes, enfants, vieillards et seulement à peine une cinquantaine d' hommes adultes (les fameux dogs soldiers), le plus incroyable étant qu'ils ne cesseront de semer leurs poursuivants dans leur fuite éperdue !

Face à cette obstination délirante contre laquelle certains éléments modérateurs seront impuissants: l'entêtement d'un peuple à refuser de plier tout en sachant sa mort programmée, le choix de ne jamais abandonner sa fierté, sa dignité, son droit à la liberté, fusse au prix de la mort.
La scène de la jonction (qui ne sera pas la fin ultime de ce parcours d'absurdité et d'abomination) est glaçante de beauté: vision de spectres affamés appartenant déjà à un autre monde, des êtres que l'on ne peut plus asservir d'aucune manière. Vainqueurs et vaincus ne sont peut-être pas ceux que l'on pense et la pseudo victoire n'est quelque part que sable et illusion...

L'auteur ne rapporte pas seulement les faits. Il s'introduit avec talent dans le vécu et les motivations des intervenants côté blanc (alors que les indiens ne sont appréhendés que dans leur dimension collective) , livrant des éclairages intéressants sur les ressorts individuels d'un engrenage aussi aberrant, conférant à ce qui pourrait n'être que la relation d'un épisode historique édifiant et révoltant, une dimension de profondeur et de vérité humaines, notamment à travers l'évolution du capitaine Murray dont il nous dit qu'il est le seul personnage principal fictif du roman.

Récit haletant mené de plume de maître par un formidable conteur engagé, voilà un matériau de premier choix pour une superbe adaptation cinématographique dont je m'étonne qu'elle n'ait jamais été réalisée (à ma connaissance).

(*) Il était déjà paru sous le titre actuel en 96 dans la collection 10/18.
Chronique d'un drame annoncé 7 étoiles

Roman très intéressant, la dernière frontière n’en demeure pas moins un roman éprouvant. Non pas par le style de l’auteur, mais pour ce qu’il raconte. Le drame vécu.

Ce drame, vrai au demeurant, est celui qui a été vécu par une tribu Cheyenne. Fuyant des conditions de vie déplorables au sein d’une réserve indienne gérée pitoyablement, ce peuple qui voulait vivre en paix, décide contre l’accord des autorités de retourner sur leurs terres, les Black Hills. Un périple de plus de 1500km pour une décision synonyme d'arrêt de mort.
La dernière frontière raconte donc le dernier baroud d’honneur d’une civilisation qui se meurt.

Ce roman apporte un éclairage intéressant sur ce fait marquant. La gestion calamiteuse de la réserve indienne et de la question indienne, les problèmes politiques rencontrés par une nation encore jeune, l’influence de cette politique sur la gestion de cette crise, les imbroglios administratifs, le rôle de l’armée, la pacifisme des Cheyennes confrontés à une situation kafkaïenne : vivre prisonniers ou mourir libres, tous ces aspects sont abordés dans ce roman.

Roman dur, mais réaliste, sans rentrer non plus dans le piège du manichéisme, la dernière frontière se lit aisément. Néanmoins, ce récit est bien souvent difficile à lire tant il est parfois glaçant et révoltant.

Sundernono - Nice - 41 ans - 5 octobre 2020


La tragédie indienne 8 étoiles

Le plus grand tort des Indiens d'Amérique était de vivre, tout simplement. D'ailleurs, l'adage ne disait-il pas : "un bon indien est un indien mort" ?!
Ces "sauvages" vivant à l'âge de pierre, à peine vêtus de peaux de bêtes refusent de vivre là où la bienfaitrice Amérique leur a donné un état rien qu'à eux : l'Oklahoma, au nord du Texas !

C'est dans ce contexte, en 1878, que débute le roman. Dans la réserve où sont parqués les Cheyennes originaires des Black Hills dans le Wyoming, une rumeur court comme quoi trois indiens auraient été vus, s'enfuyant vers le nord.
L'armée, chargée des les surveiller, ordonne aux chefs de la tribu de les retrouver. Mais ce n'est qu'une rumeur ... le ton monte vite et le bras de fer commence. Comme pour leur donner raison, les Indiens, en effet, quittent la réserve. La chasse à l'homme peut alors commencer.

De ce qui s'apparente au départ à un simple incident, la poursuite de la tribu indienne de 300 âmes par l'armée va prendre de plus en plus d'ampleur.
Le fossé culturel qui sépare ces hommes, l'armée américaine d'un côté, le peuple Cheyenne de l'autre, sera le prétexte à l'action militaire et aux pires manœuvres.

Livre passionnant, quoi qu'un peu long à démarrer, il nous permet de mesurer à quel point les Amérindiens ne pouvaient survivre dans ces Etats-Unis d'Amérique en pleine expansion. Il nous montre également à quel point les Indiens maîtrisaient l'art de la survie, et que la liberté justifiait à leur yeux tous les sacrifices, jusqu'à la mort.

"Danse avec les loups" reste un film proche de l'état d'esprit du livre et de ces événements. Je conseille également l'écoute de "How the west was lost" (pochette brune et non bleue) pour accompagner sa lecture.

Lejak - Metz - 50 ans - 5 avril 2015