N° 44, le mystérieux étranger
de Mark Twain

critiqué par Lectio, le 15 juin 2014
( - 74 ans)


La note:  étoiles
Un grand défouloir
On connait plus de Mark Twain "les aventures de Tom Sawyer" que l'essayiste et pamphlétaire pessimiste dénonçant les travers de la société et la malfaisance de la religion. A son décès en 1910, M. Twain laisse de nombreux manuscrits dont "44, l'étranger mystérieux". Albert Paine Bigelow, responsable d'édition et biographe de Twain expurgea la première édition posthume pour éviter de ternir l'image de l'écrivain. La version intégrale à laquelle travailla Samuel Langhone Clemens durant les 12 dernières années de sa vie ne parut qu'en 1969. De facture médiévale, le roman a pour unique décor un château occupé par une équipe d'imprimeurs à la fin du XVè siècle en Autriche. Le narrateur, August Feldner, 16 ans, est apprenti imprimeur (M. Twain fut apprenti typographe à 12 ans). Les compagnons travaillent à l'édition d'une Bible. Un mystérieux voyageur, en loques, répondant au nom de 44 nouvelle série 864962 demande asile à la petite communauté qui l'accueille à bras ouverts, comme Katrina la cuisinière ou avec méfiance voire rejet pour les autres. Nous ne saurons rien de 44, tantôt figure christique, tantôt démon. Sans passé ni avenir, errant dans les temps et les mondes, rien ne semble l'atteindre, un peu comme Bartleby. Avec ses pouvoirs magiques et surnaturels il réalise mille prodiges. Mais 44 importe peu. Il sert de révélateur à cette petite société velléitaire, qui a peur de l'étranger, lâche, jalouse et cupide. Les pouvoirs magiques, les fantômes, la création des duplicatas ne sont que prétextes pour fustiger la religion, s'en prendre au christianisme, à Dieu pour dénoncer les crimes commis en son nom, pour révéler les passages de la Bible qui paraissent incohérents. Dans ce récit peu structuré, grand défouloir du pamphlétaire il y a de forts accents freudiens. Twain connaît-il les théories du psychanalyste, a-t-il lu " la connaissance et l'interprétation des rêves"-1899, " trois essais sur la théorie sexuelle"-1905, " actes obsédants et exercices religieux"-1907 ? Les descriptions oniriques, les scènes névrotiques dans l'exercice de la religion encouragent cette présomption. Nonobstant une réelle qualité d'écriture, ce sujet abracadabrantesque manque de consistance. L'auteur est pris dans une ivresse d'écriture de récits imaginaires de plus en plus grotesques et lassants. Ce manque d'histoire donne un final en "queue de poisson", véritable plaidoyer pour le nihilisme :" tout ce que je t'ai révélé est vrai : il n'y a pas de dieu, pas d'univers, pas de race humaine, pas de vie terrestre, pas de paradis, pas d'enfer. Tout cela n'est qu'un rêve, un rêve grotesque et imbécile". Le livre aussi.