Nous les nègres, le récit africain contre le récit colonial
de Blaise Nicyolibera

critiqué par JulesRomans, le 17 juin 2014
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
C'est nous les Africains qui revenons de loin
B.L. Nicyolibera est d’origine rwandaise et vit à Paris. Il essaie de donner une claire vision du poids du passé sur l’avenir de l’Afrique et d’imaginer comment ce continent dans sa partie sub-saharienne pourrait se construire un meilleur futur. C’est un ouvrage sérieux et on est très loin des divagations du Sénégalais Cheikh Anta Diop autour de l'Égypte antique et de certains arguments de ce dernier visant à démontrer l’afrocentricité.

B.L. Nicyolibera construit son raisonnement à partir de fondements solides, et sa vision du système colonial est sans concession mais aussi sans dérapage. Par ailleurs il pointe également les errements des révolutionnaires africains arrivés au pouvoir. Un chapitre porte le nom très significatif de "Une prison mentale, spirituelle et matérielle…". Il appelle à sortir de l’idée que l’Afrique est entrée en décadence, de l’afro-pessimisme, à sortir du néo-colonialisme.

« Le néocolonialisme se serait réellement investi dans sa mission de progrès et de développement, ces propres défenseurs ne s’alarmeraient pas sur le délabrement de l’Afrique et la misère noire des Africains. Dès lors, reposons la question : à quoi sert l’aide au développement ? C’est une question qui ne cesse de harceler l’esprit dès lors qu’on y réfléchit. Nous y avons déjà fait allusion. Une partie de l’argent de l’aide au développement sert très certainement à rémunérer et corrompre le petit personnel néocolonial indigène. Une autre, la plus importante sans doute, comme le souligne Jacques Chirac, revient dans le porte-monnaie du système ». (page 129)

Le dernier chapitre s’intitule lui "De la délivrance" il appelle là en particulier à un regard critique sur les religions importées de l’Occident et retrouver la spiritualité africaine ainsi qu’à rejeter les habits misérables qu’a pris la démocratie en Afrique pour s’inspirer des gestions séculaires du pouvoir d’avant la colonisation. L’auteur idéalise un peu la pratique des valeurs ancestrales mais il renouvelle la pensée politique en s’appuyant sur des racines profondes.

« Pris dans son sens moral et éthique "Ubuntu" signifie la générosité, la bonté sans borne, la compassion… Pris dans son sens spirituel et mystique, c’est le degré le plus élevé de la sagesse, de la clairvoyance, de la connaissance et du savoir des choses cachées inaccessibles aux profanes et aux vulgaires. (…) Le modèle de société et d’êtres humains qu’avait édifié l’Afrique est celui des sociétés et des femmes et des hommes qui tendent vers l’Ububtu. Un roi aimé de son peuple, un dirigeant adulé, un citoyen lambda estimé, c’est celui qui avait acquis et possédait l’Ubuntu comme un don divin ». (pages 229-230)