Le planqué des huttes
de Léo Lapointe

critiqué par JulesRomans, le 5 juillet 2014
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Une belle somme de sensations à la lecture du "Planqué des huttes" de la baie de Somme
Voici un ouvrage qui évoque, la présence de Chinois en France durant la Première guerre mondiale sans être centré sur le sujet comme la fiction pour les adolescents "Souviens-toi de moi" de Martine Laffon ou l’étude de Li Ma intitulée "Les travailleurs chinois en France dans la Première Guerre mondiale".

En fait c’est l’univers des anarchistes (case bagne de Guyane comprise) de la Belle Époque et accessoirement de la Première guerre mondiale qui porte l’ouvrage. Il est fait d’ailleurs allusion, sans le citer, sans en connaître la date précise et surtout sans l’avoir lu à un texte signé en février 1916, ce manifeste anarchiste dit des Seize est à l’initiative de Jean Grave et Pierre Kropotkine.

Ce texte a eu un contenu largement caricaturé ici car il y a la reprise (sans les vérifier) de propos d’auteurs de l’histoire du mouvement anarchiste non universitaires, à l’instar de Michel Ragon, qui considèrent comme une ignoble tâche dans la biographie d’un militant le fait de l’avoir signé. Le manifeste des Seize dénonce l’impérialisme allemand et déclare qu’une perspective de paix qui offrirait à l’Allemagne une prime à l’agression doit être dénoncée : « avec ceux qui luttent, nous estimons que, à moins que la population allemande, revenant à de plus saines notions de la justice et du droit, renonce enfin à servir plus longtemps d’instrument aux projets de domination politique pangermaniste, il ne peut être question de paix. Sans doute, malgré la guerre, malgré les meurtres, nous n’oublions pas que nous sommes internationalistes, que nous voulons l’union des peuples, la disparition des frontières. Et c’est parce que nous voulons la réconciliation des peuples, y compris le peuple allemand, que nous pensons qu’il faut résister à un agresseur qui représente l’anéantissement de tous nos espoirs l’affranchissement».

Parmi les petits détails qui choquent l’historien, on note page 102 l’étiquette d’anarchiste attribuée à Gustave Hervé, alors militant allemaniste, courant le plus antimilitariste du socialisme de la Belle Époque et page 103 faire de Briand un président du conseil socialiste SFIO (on pourra relire des extraits des discours à la chambre des députés de Jaurès contre ce dernier lorsqu'il dirige le gouvernement). Je n’ai pas aimé non plus le titre du chapitre 32 qui, sous le ton de la plaisanterie, fait passer Hitler pour un futur ami d’Hindenburg et de Pétain. S'y ajoute le fait que soit reprise la légende du grade de caporal porté par Hitler durant la Première Guerre mondiale, alors qu’il était soldat de première classe.

Ceci est dommage car la documentation consultée en matière d’histoire locale est d’un intérêt très remarquable et qu’elle a été très bien digérée. Nous suivons la vie d’une famille (père, mère et enfants) ainsi que de leur oncle entre 1903 et 1918 et le fait, que ce dernier ait des idées libertaires, pèse sur le destin de tous les autres. Si on est dans le domaine de l’histoire locale des personnalités de dimension nationale n’en sont pas moins présentes, on l’a vu avec Gustave Hervé et Briand, c’est le cas aussi avec Georges Clemenceau et des anarchistes comme Jean Grave, Jules Bonnot ou Alexandre Jacob. Une première partie de l’ouvrage se déroule à la fin de la Belle Époque et l’autre moitié a son action durant la Première Guerre mondiale.

Quoique l’on change de région, on reste toujours dans la Somme. C’est dans une forêt d’un village picard qu’un des fils insoumis rencontre un Chinois qui a fui les très dures conditions de vie du camp des travailleurs chinois de Noyelles-sur-Mer (au nord-ouest d’Abbeville). Léo Lapointe livre, d’ailleurs en fin d'ouvrage, six pages documentaires sur les conditions de recrutement (par les Anglais pour les deux tiers et par les Français pour le reste) des 100 000 travailleurs chinois présents sur l’hexagone du milieu à la fin de la Première Guerre mondiale.

Ce même Léo Lapointe déclare dans un interview à la mi-mai 2014:

« Avec "La Longue Séparation", Philippe Waret évoquera en septembre l’occupation allemande de Roubaix. En novembre, Claude Vasseur se penchera sur le soldat inconnu britannique qui vient de l’hôpital militaire de Saint-Pol-sur-Ternoise. »

On notera que chez cet éditeur Pôle nord éditions sont sortis plusieurs romans historiques (à plus ou moins forte dimension policière) et que nous les avons jusqu'à présent tous lus avec grand plaisir. Privilège rare, lorsque l'on connaît nos exigences en matière de roman historique pour les adultes ou les jeunes et que l'on sait que nous faisons preuve d'une certaine sagacité pour relever ce qui trahit l'esprit de l'époque.
Dignité et courage d'une famille modeste, face à l'acharnement 8 étoiles

Je rejoins la critique de Jules Romans. Si ce n'était que pour la qualité de la documentation, en effet bien intégrée, sur la vie locale, ce roman mériterait d'être lu. A ce propos, j'ai adoré l'épisode du "déplacement" de la maison toute entière (oui, c'était possible) entrepris par la famille menacée d'expulsion, en raison du projet de construction du camp des Chinois. On découvre tout naturellement les modes de construction à l'époque : torchis, poutres de bois peu précieux, mais résistant etc. Ce passage est un vrai régal.

L'auteur a su dresser avec subtilité les portraits des membres de la famille. Les femmes en arrière plan, ont la réserve que voulait l'époque, et progressivement, la guerre et l'adversité faisant, se révèlent efficaces, militantes...

Enfin... J'ai lu ce livre de plus de 400 pages avec intérêt, quasiment d'affilée . L'intimité avec les personnages et les détails locaux et historiques bien dosés m'ont soutenue dans la lecture des quelques passages historiques, où l'on sent que l'auteur lui-même est très attaché aux valeurs et admiratif des grandes figures de l'anarchisme.

A cet égard, le livre donne envie d'en savoir plus. Ainsi, je suis allée voir l'ancien film sur Sacco et Vanzetti au cinéma (un pur chef d’œuvre !). Emile , dans le roman de Léo Lapointe, incarne bien la figure de Vanzetti, interprétée dans le film par Gian Maria Volonte.

Chevechette - - 68 ans - 14 septembre 2014