Amours profanes
de Joyce Carol Oates

critiqué par Myrco, le 2 décembre 2014
(village de l'Orne - 75 ans)


La note:  étoiles
La vie...si dérisoire ?
J'ignorais jusqu'ici l'existence d'un genre typiquement anglo-saxon dit "campus novel" auquel appartient "Amours profanes", roman paru en 1979 dans sa version originale et qui ne figure pas parmi les œuvres les plus connues de J.C Oates.
Ce roman répond en effet à la définition du genre en ce sens qu'il met en scène, le temps d'une année universitaire, une communauté de professeurs d'un établissement d'enseignement supérieur, au nord de New York.

Cette année-là aurait dû être à marquer d'une pierre blanche :le doyen Byrne a réussi à faire venir, au sein du département Littérature, pour un séjour d'un an, l'immense poète anglais, le génie Albert St Denis...Tous vont se presser autour de lui, donner des réceptions en son honneur, espérant que rejaillisse sur eux un peu de sa gloire.
Brigit Stott, bientôt la quarantaine, professeur et romancière en panne, seule et dépressive au sortir d'une séparation éprouvante, a rêvé à travers lui d'une renaissance qui l'élève au-dessus de la médiocrité ambiante :
"Ce serait l'un de ses amours sacrées .Elle avait eu des amours sacrées et des amours profanes. Très peu des premières et beaucoup trop des secondes. Et bizarrement, quelques-unes de la première sorte -en particulier celui avec son mari - étaient passées de la première à la seconde espèce."
Mais la réalité sera tout autre...plus prosaïque. St Denis n'est plus qu'un homme finissant, trahi par son corps et sa mémoire défaillante, un vieillard attachant et fantasque, qui ne correspond plus à l'image de la quatrième de couverture de ses livres.

"Amours profanes", c'est d'abord une peinture de mœurs (et pour moi le point fort du livre), le portrait de cette petite communauté repliée sur elle-même, dont le mode de vie tourne beaucoup autour des soirées plus ou moins mondaines organisées chez les uns ou les autres. Oates nous livre ici, avec brio, une analyse pertinente et lucide du jeu social. Elle décrit à merveille ces réunions pseudo amicales de collègues qui souvent se détestent, se jalousent ou ne sont préoccupés que de savoir comment ils vont briller, cet univers âpre d'hypocrisie, de rivalités mesquines, de manœuvres d'exclusion ou de harcèlement, où l'égocentrisme forcené de certains peut parfois engendrer des comportements pathétiques, cet univers où la rumeur peut faire des ravages...
Dans un style maîtrisé, souvent indirect et enlevé, variant les angles en pénétrant le point de vue de divers protagonistes, Oates réussit un dosage subtil entre "une satire féroce et impitoyable" et des moments de tendresse qui renvoient à la faiblesse et à la fragilité humaine et dont le personnage du poète est souvent le catalyseur.

Ces gens ont beau être, pour la plupart des universitaires talentueux, leurs préoccupations quotidiennes relèvent de la médiocrité humaine et les relations superficielles qu'ils nouent entre eux ne parviennent jamais à communiquer sur l'essentiel, mais où est l'essentiel ? Question qui rejoint, me semble-t-il la seconde facette du roman, centrée sur le personnage de Brigit Stott, sa liaison avec le musicien Kessler, facette qui m'a par contre laissée perplexe. J'avoue ne pas être parvenue à cerner ce personnage tourmenté, oscillant entre le besoin d'amour et la crainte de "ne plus s'appartenir", confrontée au choix entre l'amour et la réalisation d'une œuvre qui, comme le lui dira le poète n'a finalement au bout du compte que "si peu d'importance".

J'ai refermé ce livre sur le sentiment que tout est si dérisoire :la vie, la mort, les choix que l'on peut faire à un moment ou à un autre et qui vous font passer, peut-être, à côté du plus important...comme Brigit ? Etait-ce le message de Oates ?La fin, ambiguë, m'a confortée dans mon malaise et le sentiment que j'étais peut-être aussi passée, moi aussi, à côté des intentions de l'auteur.
Au final, le genre de lecture qui ne m'aura pas apporté grand-chose...