Regarde les lumières, mon amour
de Annie Ernaux

critiqué par Malic, le 4 juin 2014
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Chroniques du supermarché
Durant un an, Annie Ernaux a tenu le journal de sa fréquentation du supermarché Auchan des Trois-Fontaines, à Cergy, dans le Val-d'Oise. Elle note ses « choses vues », cocasses, émouvantes, surprenantes, le comportement des clients, dans les rayons, aux caisses, ce qu’il reflète de leur vie et de leurs problèmes. Elle observe aussi avec beaucoup d’acuité cet espace-temps particulier qu’est la « grande surface », où les fêtes, les saisons, la rentrée scolaire sont toujours largement en avance et comment la marchandise magnifiée quelques jours par la proximité de Noël, Pâques ou d’autre évènements se retrouve ensuite ignoblement rejetée dans la fosse commune des soldes.

Le supermarché est aussi un lieu qui joue à la fois de la séduction – celle des produits, celle d’un marketing cynique déguisé par le langage en préoccupation humanitaire – et de la menace (vidéosurveillance, interdictions diverses.)

Le regard de l’auteur est souvent très critique, voire révolté par exemple dans ce rappel glaçant : « Le bilan de l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh est de 1 127 morts. On a retrouvé dans les décombres des étiquettes des marques de Carrefour, Camaïeu et Auchan. »
Ou encore devant les rayons de Noël qui jouent à fond la carte des stéréotypes avec leurs jouets de Noël, strictement séparés en « garçons » et « filles » et dans une optique très différente pour chaque catégorie : les garçons ont droit au rêve, à l’aventure (fusées, Spiderman etc) alors que pour les filles c’est juste « tout pareil que maman, en mini ».

Mais Annie Ernaux raconte aussi l’agrément de ces visites au supermarché, qui rompaient avec bonheur sa solitude d’écriture. On lui a d’ailleurs parfois reproché d’être trop complaisante envers ces temples de la société de consommation et de l’aliénation. Mauvais procès car après tout elle n’a pas prétendu faire œuvre sociologique ou philosophique, mais seulement faire partager ses impressions. N’empêche qu’après avoir lu cette plaquette de 70 pages (que vous trouverez dans tous les bons supermarchés et librairies) on se sent un peu plus intelligent. On se dit qu’on a vécu soi même une bonne part de ce que décrit Annie Ernaux, mais sans sa finesse d’observation et d’analyse. Un livre qui, comme « espèces d’espaces » de Georges Perec ou «De l’espace humain » de Jean Cayrol, nous aide à mieux comprendre le sens des espaces où nous vivons.

Détail significatif à rappeler pour ceux qui n'auraient pas lu les premiers livres d'Annie Ernaux : ses parents tenaient une minuscule épicerie dans les années 50/60 et la profusion des rayons de supermarché représente tout ce dont elle pouvait rêver à cette époque.
Ressenti et observations 6 étoiles

J'ai d'abord abordé ce livre comme un roman, suite à la décision de le lire dans un club lecture auquel je participe.
A peine ai-je eu lu quelques pages que j'ai compris mon erreur. C'est alors que la perspective d'un journal m'a un peu rebuté car je craignais de n'y lire que des banalités.
Je me suis très vite laissé emmener par le récit. C'est un ensemble d'observations sur le fonctionnement d'une galerie marchande mais également une auto observation du comportement de l'auteur face à ces structures qu'il est de bon ton de condamner mais qu'elle reconnaît apprécier par certains côtés.
Les observations sont pertinentes et à divers niveaux. Elle nous fait voyager dans l'espace du magasin mais également dans ses tranches d'ouvertures. Les observations diffèrent alors. On sent la sociologue derrière cela.
Que dire une fois refermé ? Je n'ai pas découvert comment fonctionne un centre commercial mais par contre, j'ai compris que je n'avais qu'une vision parcellaire de ces ensembles.
Il est important de bien noter la date de parution de cet ouvrage car, depuis, les choses ont évolué et les hyper ne sont plus perçus comme ils l'étaient à l'époque.
L'écriture sans fioriture inutile est directe. Elle narre, elle décrit, elle ne cherche pas des effets de style fumeux ne faisant plaisir qu'à ceux qui se plaisent à mettre en valeur des structures déstructurées mais qui n'apportent rien à un propos.
Un livre intéressant que j'ai eu plaisir à lire.

Mimi62 - Plaisance-du-Touch (31) - 71 ans - 15 avril 2023


DE L’ATTRACTIVITÉ D’UN… HYPERMARCHÉ! 7 étoiles

«Regarde les lumières mon amour» est un livre un peu particulier dans la biographie d’Annie ERNAUX, puisqu'il ne s’agit pas d’un roman, - plus ou moins autobiographique -, comme d’habitude avec l’écrivaine française et surtout pas un roman sentimental.
C’est une sorte de journal des «passages» (peut-être devrais-je juste dire des… courses?) de l’auteure dans ce que nous appelons une «grande surface» et qui couvre la période du huit novembre 2012 au vingt-deux octobre 2013.
Attention, ce n’est pas non plus une étude sociologique. Disons que ce sont les réflexions d’une femme qui fait ses courses toujours dans le même magasin et qui regarde ce qu’il se passe autour d’elle.

Ce n‘est bien sûr pas n’importe quel regard. D’abord c’est celui d’un écrivain, l’hypermarché, cet espace familier où tout le monde se côtoie, nous est présenté de façon… littéraire! Cela se voit p. ex. dans son «obsession» à aller voir ce qu’il se passe dans le rayon livres et à regarder les livres qui y sont vendus et ceux que les clients achètent.
Ensuite, c’est celui habituel de Mme. ERNAUX, c’est «distancié», comme vu de loin, avec une sorte de «neutralité», comme toujours dépouillé, épuré et allant à l’essentiel, mais toujours avec bienveillance : «Parce que voir pour écrire, c’est voir autrement. C’est distinguer des objets, des individus, des mécanismes et leur conférer valeur d’existence»…

Pour l’auteure, l’hypermarché est un grand «rendez-vous humain», un véritable spectacle dont on peut parler et le critiquer, comme de n’importe spectacle que l’on va voir. Elle parle d’ailleurs d’«Une communauté de désirs», et sa fréquentation est très loin de se résumer à faire ses courses. La romancière nous livre des sentiments mêlés, attirance, interrogations, sensations, observations que suscite en elle ce haut lieu de la consommation de masse et de l’abondance de l’offre.

Rien, ou presque, n’échappe à son regard critique, depuis la disposition des marchandises jusqu’à l’achalandage, depuis les caissières jusqu’au rayon des jouets, depuis la disposition des rayons jusqu’à ceux qui disparaissent définitivement, depuis les clients (qui parfois la reconnaissent d’ailleurs…) jusqu'aux collectes de la Banque Alimentaire, pour laquelle il ne faut surtout pas acheter de pâtes, etc etc…

Le livre n’est bien sûr pas absent de tout reproche. Il y a des réflexions à l’emporte-pièces et d’une banalité affligeante, dont on se demande d’ailleurs ce qu’elles viennent faire là. P. ex. «Moins on a d’argent et plus les courses réclament un calcul minutieux, sans faille» (oui, je n’ai pas fait math sup, mais ça j’aurais pu le dire aussi!..) ou encore «Le début de la richesse – de la légèreté de la richesse – peut se mesurer à ceci : se servir dans un rayon de produits alimentaires sans regarder le prix avant.» (oui, cela s’appelle avoir les moyens de ne pas compter, justement!..), ou bien «Les lieux de consommation sont décidément conçus comme ceux du travail, avec pause minimale pour un rendement optimal»… et encore oui! En d’autres mots on appelle aussi cela une... Économie capitaliste…

Mais dans l’ensemble, j’en retiens, comme toujours avec Mme. Annie ERNAUX, un très bon petit livre, très court (moins de 100 pages…), très facile, qui se lit en quelques heures, mais qui nous présente quand même un regard indispensable et impitoyable sur notre société actuelle…

Rappelons que Mme. Annie ERNAUX est lauréate du Prix Nobel de Littérature 2022.

Septularisen - - - ans - 18 octobre 2022


Un autre regard sur les hypermarchés 8 étoiles

Annie ERNAUX nous livre son autre regard sur ces lieux d’hyper consommation, l'humanité y est présente si chacun de nous en prend le temps. Lecture très agréable comme tous les écrits d'Annie ERNAUX

Ichampas - Saint-Gille - 60 ans - 12 décembre 2016