Appoggio
de Arno Bertina

critiqué par Livrelu, le 5 septembre 2003
(Paris - 54 ans)


La note:  étoiles
Un second roman brillant
Au centre de ce second roman d'Arno Bertina (son premier roman, Le Dehors ou la migration des truites, avait été très remarqué), il y a une chanteuse d’Opéra : Myrtle Gordon (surnommée aussi, au grè du livre, Ariane Duval ou Mable) dont la vie est tout entière tendue vers le chant, le rapport au corps qu’il induit, le positionnement de la voix, le traitement du souffle, mais aussi la présence des autres corps autour d’elle.
Sur ce thème, de profondes résonances parcourrent le livre, l’ancrent dans une prose précise qui joue de toutes ses virtualités pour asseoir cette question du souffle, du chant, et l'amplifier. En contre-point de ce sujet central donc, de cette voix disséquée au fil du roman dans ses variations, ses tonalités, sa charnellité d'organe, (à la fois ce qui dépasse la seule question de cette chair et ce qui ramène immanquablement à ce corps malgré tout), il y a une voix, une écriture qu'on ne peut pas ne pas remarquer. La syntaxe est bousculée mais maîtrisée, la phrase trouve de l'amplitude, se ramène à un simple filet de souffle, est relancée, poussée à une limite, puis reprend un battement régulier. Arno Bertina parvient ainsi à immerger profondément son lecteur dans le roman, mais ce n'est pas tout. S'insère aussi, peu à peu, tout un plan ironique, humoristique parfois même, qui vient jouer sur l’aspect bouffon, comedia dell'arte que l’Opéra, parfois, sait aussi investir, et tout cela vient donner un peu plus de poids encore aux personnages, à leur drame, à leur existence. La construction narrative, enfin, vient renouer, elle-aussi, avec le thème central du livre, instaurant des ponts entre des registres différents, depuis l'écriture quasi théâtrale de certains passages dialogués, jusqu’aux inserts de voix (cassette, discours rapportés, sauts dans le temps par flash-back, etc.), et saisissant ainsi l’art lyrique pour en transcrire toute l'énergie.
Enfin, au-delà de cette composition et de cette écriture maîtrisées, il y a l'histoire et les personnages qui la servent. Autour de Myrtle Gordon se bousculent d'autres chanteuses, un mari, un agent, un avocat, un procureur, etc… C'est que Ariane Duval, alias Myrtle Gordon ou Mable, est accusée de non-assistance à personne en danger, et d'homicide volontaire sur l'agent artistique de son ensemble vocal (qui était aussi par ailleurs son amant). Ce dernier a été englouti dans des sables mouvants, sous les yeux de la cantatrice… Le procès est en cours, les témoins affluent, l'accusée se défend comme une enragée. Dès lors se déploient des anecdotes, des situations (parfois cocasses), des souvenirs, mais aussi les artifices, les sautes d’humeur et les frasques, les bouffoneries et les grotesqueries, les émotions, les vraisemblances et les trompes l'œil de la cantatrice et tous ceux qui l'entourent.
Ce roman est le portrait d’une artiste dans toutes les contradictions qui l'animent, les secousses intérieures, les haines et les passions ; mais aussi une formidable visitation de l’art lyrique et tout ce qu’il draîne d’émotions et de puissance ; mais encore une farandole de personnages saisis dans leurs traits les plus forts. Un roman tourbillon, exigent, qui confirme le talent de ce jeune auteur.
Alchimie d'un corps et d'une voix 7 étoiles

Livrelu a très bien raconté ce roman de Arno Bertina. Myrtle Gordon est une femme qui souffre, que ce soit à propos de sa voix ou de son physique. C'est un être tourmenté dont la vie ne ressemble pas à un long fleuve tranquille et serait plutôt pathétique. On s'y attache rapidement à cette femme malheureuse. Arno Bertina nous la décrit avec beaucoup de douceur et de subtilité, mettant à nu ses états d'âme les plus intimes, la fragilisant davantage sous nos yeux, comme si l'auteur nous invitait à lui tendre les bras lorsque les soucis pleuvent sur ses épaules affaissées.
Myrtle vit par et pour le chant, il n'y a que ça. Le lecteur doit s'y faire, se mettre dans la peau de cette cantatrice. Pas tout le temps facile, certains domaines qui nous sont étrangers peuvent parfois paraître hermétiques. Mais Bertina nous aide. Il nous apprend la voix, ses variations, la tessiture, son rapport avec le corps, son écriture se fait musicale et gonflante, comme un souffle puissant qui emporterait tout sur son passage. C'est lyrique et plus que ça. Car il y a de la vie, de la tristesse et aussi de l'humour. Myrtle Gorgon ressemble parfois à une caricature, flottant entre le Fantôme de l'Opéra et la Castafiore.
La mort de son amant est un fil conducteur supplémentaire qui permet à Bertina de dépeindre plus en profondeur le personnage et ses paradoxes, de créer un entourage, un monde dans lequel elle évolue. pas tout le temps indispensable à mes yeux, ça manque parfois de souffle mais très vite, l'auteur (comme si il le sentait) reprend de plus belle l'exploration des voix intérieures en nous entraînant avec lui.
C'est un livre qui porte et qui emporte, on doit suivre et se laisser bercer.

Sahkti - Genève - 50 ans - 27 septembre 2004