Kanopé
de Louise Joor

critiqué par Shelton, le 19 avril 2014
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Un gros coup de coeur, une belle découverte !
Une bande dessinée de science-fiction ? Ce n’est finalement pas très courant dans mes chroniques. C’est un genre qui a tendance à me lasser, à nous laisser, nous les lecteurs, trop souvent dans des lieux connus pour ne pas dire communs ou banals, bref, peu d’occasion de s’emballer, de s’enthousiasmer… Heureusement, il arrive parfois de tomber, plus exactement de se retrouver avec en main un album de qualité, avec un scénario solide, un graphisme touchant, une narration graphique efficace, voire originale, poétique, merveilleuse… Et c’est ce qui m’est arrivé quand j’ai ouvert Kanopé. Je suis tombé sous le charme du travail de Louise Joor, tout simplement…

Quand on est séduit, cela ne s’explique pas toujours de façon rationnelle. Pourquoi avoir dépassé la première page ? Un trait, des couleurs, une ambiance ? Un homme court dans la forêt, pas de parole mais immédiatement on sent la peur, l’angoisse, la désespérance de celui qui est poursuivi…

Très rapidement, c’est la forêt qui nous retient enfermés, un immense enfer vert, l’Amazonie en 2137… La Terre est surpeuplée, 10 milliard d’habitants, une planète bleue devenue terne et vide de ses richesse, une nature qui a reculé, sauf en Amazonie. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une zone interdite suite à une catastrophe nucléaire… Un incident de centrale…

Mais, nous allons justement pénétrer cette forêt interdite en tentant de protéger ce pauvre bougre poursuivi de la première page… L’aventure commence et Kanopé devrait maintenant vous séduire… Enfin, elle va en quelque sorte séduire Jean. Il faut dire qu’elle est plutôt belle, dynamique et que la forêt, pourtant polluée et interdite, semble l’avoir bien conservée Elle doit avoir un secret…

Jean et Kanopé ! Une histoire de survie, une relation d’amitié, un récit plein de tendresse, une touche de poésie, une bande dessinée atypique, un ovni phylactetérien qui m’a beaucoup plu. Une lecture qui vous met entre parenthèse, qui vous fait oublier la vie, vous isole un instant et quand vous revenez parmi les autres, vous clignez quelques fois des yeux avant de vous dire que le rêve est terminé, que vous avez quitté la forêt, que vous avez réintégré le monde de fous dans lequel nous vivons… avec sa population, ses règles, sa pollution… Oui, nous sommes de nouveau avec Jean, nous ne sommes plus dans la cabane de Kanopé…

Alors bien sûr, c’est une première bande dessinée, un album de jeunesse, et certains pointeront ici ou là des petits défauts à corriger. Oui, mais, n’ouvrez pas Kanopé pour rechercher une perfection que cette jeune auteure n’a pas cherché à produire. Découvrez son univers, laissez-vous séduire, partez en voyage exceptionnel dans cet Amazonie transfigurée et meurtrie, rencontrez Kanopé, restez en sa compagnie le temps qu’il vous faudra pour reprendre goût à la vie, partagez le bonheur retrouvé avec vos amis et permettez ainsi à Louise Joor, jeune auteure belge d’exister par ses belles histoires.

Philippe Buchet, dessinateur de la série Sillage, écrit la préface avec simplicité et il termine en nous affirmant que nous avons bien de la chance d’avoir cet album en main et de pouvoir lire cette histoire. Je partage entièrement cet avis et j’espère que vous aurez vous-aussi envie de rencontrer Jean et Kanopé !

Très bel album qui fera plaisir dès l’adolescence…
Radioactive jungle 7 étoiles

Avec ses jolies nuances de vert profond, la couverture constitue à elle seule une invitation à pénétrer l’univers de cet album de SF écolo-forestière post-tchernobylienne. Le trait de Louise Joor, à mi-chemin entre le manga et l’école bruxelloise, révèle un talent certain, même si pour ma part je ne suis pas vraiment client. Mais on doit lui reconnaître ce mérite, celui d’être également la scénariste et la coloriste de cet album qui ne manque pas de charme. Ecolo dans l’âme, la jeune auteure belge signe donc ici sa toute première BD, aboutissement logique de ses collaborations en tant qu’illustratrice notamment pour Oxfam. A travers ces 128 pages, elle démontre qu’elle a parfaitement intégré les problématiques environnementales de son époque : la « grande catastrophe » est à nos portes, voire déjà dans la place, mais tout n’est pas perdu… Le constat est lucide sans être moralisateur. Louise Joor a opté pour un optimisme un peu naïf mais rafraîchissant qui n’élude pas pour autant la gravité d’un désastre écologique. Quand ils n’ont pas deux têtes, les animaux ont des pustules quelque peu inquiétantes mais restent familiers. D’ailleurs, l’élément le plus mature et le plus émouvant de l’histoire est incarné par ce bison solitaire aux prises avec un puma, un bison pas vraiment à sa place dans la jungle amazonienne et en qui l’héroïne a cru déceler dans l’œil un gouffre de solitude.

Destiné avant tout à un public adolescent, et plus largement « adulescent », cette BD intègre aussi les éléments de la romance, l’histoire d’un amour impossible entre deux êtres que tout sépare en apparence : Kanopé, une jeune « sauvage » orpheline dont les ancêtres étaient des éco-martyrs et le jeune hacker Jean poursuivi par les autorités du monde extérieur. A travers la rencontre de ces deux êtres « anti-système », Louise Joor a l’air de rien synthétisé ce qui pourrait caractériser le militantisme des années à venir, l’alliance des adeptes les plus radicaux de la décroissance et des « terroristes » des réseaux informatiques.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 26 mai 2014