Jean Raspail nous emmène loin, très loin avec cet ouvrage. Tout d'abord à l'autre bout de la terre et très profondément en nous même, le voyage le plus périlleux que nous pouvons faire. D'abord l'histoire de ce peuple fuégien. Les alakalufs, bien qu'on leur ait attribué d'autres noms erronés en fonction des événements et des circonstances de leur découverte. L'histoire de ces indiens de canots, ne possédant qu'un frêle esquif et quelques braises rougeoyantes gardiennes de la chaleur protectrice. Pour les besoins alimentaires, les Alakalufs se nourrissent au gré des rencontre de baleines échouées, ou de phoques ou de sternes. Ils s'enduisent le corps de graisse de phoque et vivent ainsi voguant en nomade sur la mer. Imaginez un milieu hostile, des escarpements rocheux, des vagues aussi prédatrices que le froid qui s'abat sans crier gare. Imaginez une surface territoriale aussi grande que le France peuplée de 1000 Alakalufs. Ce territoire est composé de caps, de rades, de criques et d'estuaires. C'est là, en toute quiétude que vivent depuis des milliers d'années les Alakalufs. Ils n'ont pas de mots pour exprimer le bonheur ou l'amour, les femmes ouvrent les cuisses pour le bien du clan, le partage amoureux est de règle, ils vivent ainsi depuis longtemps. Trop longtemps ? Les navigateurs arrivent sur leurs galions, les rencontres sont hostiles, tendues et forcément en défaveur de ce peuple. Raspail par le biais du roman fait entrer en action Magellan, Darwin et consorts. C'est cynique, effroyable, bouleversant. Il y a la prostitution, l'alcool, les rapts. Le chapitre sur l'exposition universelle parisienne où des Alakalufs sont mis en scène comme des bêtes anthropophages est terrifiant de vérité. Le chapitre de la conversion forcée au christianisme est révélateur d'une incompréhension et d'une incommunicabilité. Raspail déménage, m'inquiète, me ravit et me pousse à penser à ces êtres comme à des frères que nous avons décimés, fauchés comme des blés. Le rouleau compresseur de la civilisation a écrasé ces hommes. Seul Lafko au dernier chapitre se révolte, arrache son vernis d'homme civilisé pour s'enduire de graisse. J'ai eu envie à la lecture moi aussi de m'enduire de graisse de phoque, de croquer comme un sauvage dans la viande crue de baleine et de dormir nu contre les autres du clan, malheureusement ces hommes nous les avons tués. Jamais je ne pourrai leur chanter le refrain de Nougaro " Donne moi la main mon ami, j'ai cinq doigts moi aussi ". Un Raspail qui cingle comme une pluie glaçante de terre de feu. Sublime.
Hexagone - - 54 ans - 20 février 2010 |