L'avocat du diable
de Morris West

critiqué par Myrco, le 10 mai 2014
(village de l'Orne - 75 ans)


La note:  étoiles
Le chemin de la paix...
Ce titre "L'avocat du diable" associé au nom de l'écrivain australien Morris West, trouve sans doute un écho dans la mémoire de tous les lecteurs de ma génération (ou un peu plus âgés) tant il fut dans les années 60, un immense succès de librairie dans le monde entier. On pourra s'étonner qu'une œuvre aussi riche et profonde, inspirée par l'humanisme chrétien de son auteur puisse se démarquer, à ce point, du niveau de facilité de nombre de nos best-sellers d'aujourd'hui.

Le personnage principal, Monseigneur Blaise Meredith, prélat anglais, membre de la Curie romaine, a toujours mené une vie de rat de bibliothèque, penché sur ses manuscrits, faisant œuvre de théologien, une vie confortable mais sans passion, loin de l'humanité souffrante. Lorsqu'atteint d'un cancer, il se trouve confronté à l'imminence de sa mort, qu'il devrait aborder avec plus de sérénité que le commun des mortels, il prend conscience, avec terreur, qu'il n'est absolument pas préparé et s'impose à lui l'inutilité de son passage sur terre: "il ne pouvait fuir la conviction de son propre échec, en tant que prêtre et en tant qu'homme."
Une mission ultime va lui être confiée qui va alors bouleverser la donne.
Quelque part, au fin fond de la Calabre, dans une région déshéritée où règne un certain obscurantisme, des villageois ont introduit une demande de béatification concernant un personnage plutôt énigmatique, Giacomo Nerone, qui, après avoir vécu là, à une période complexe de l'Histoire de l'Italie, entre août 1943 et juin 1944 (une quinzaine d'années auparavant), est mort en martyr fusillé par les communistes .
Cette mission ultime, c'est celle de l'avocat du diable, le rôle du procureur, autrement dit celui qui doit chercher les raisons de refuser la demande dans de telles procédures (cette fonction sera supprimée par Jean Paul II en 1983). Comme par hasard, face à ceux qui défendent la cause du "saint", les autres se retranchent dans le mutisme. C'est donc auprès de ces derniers que notre procureur va devoir mener son enquête (car c'en est une ), ce n'est qu'auprès d'eux qu'il peut espérer trouver ses arguments.
Eux, ce sont: Aldo Meyer, le médecin juif qui avait dû opter, sous Mussolini, pour l'exil en Calabre ou les travaux forcés à Lipari, et qui libre, avait choisi de revenir se dévouer à faire entrer le progrès, sans succès, dans cette population arriérée, mais aussi la Comtesse De Sanctis dont la sexualité frustrée engendre des agissements peu avouables, le Père Anselmo, victime de sa condition...

Sur le chemin de la vérité (qui était Giacomo Nerone ? pourquoi a-t-il été abattu ? dans quelles circonstances ? qu'en est-il de sa sainteté ?), Mgr Meredith, pour lever les barrières des non-dits, mettre à jour les secrets qui pèsent sur les consciences, devra retrouver le langage commun qui parle au cœur, le chemin de la compréhension, de la compassion, de l'humanité.
Cette mission finalement, lui aura permis, et c'est le plus important, de pénétrer la souffrance des êtres, de leur apporter la paix et, ce faisant, de trouver la sienne, se réalisant enfin en tant qu'homme et en tant que prêtre.

D'autres figures apparaissent dans ce roman qui ne sont pas non plus sans relief: l'évêque réformateur Aurelio, le cardinal Marotta, Nina Sanduzzi, la fière "prostituée du saint", et surtout Nicolas Black, le peintre inverti et tourmenté, obligé et plus ou moins jouet de la comtesse, un être meurtri, habité par une ultime ambition noble et déniée, et qui demeurera pour moi le personnage le plus attachant (le dernier épisode qui le met en scène confère beaucoup d'intensité à la fin du roman).

Comme je l'ai souligné en ouverture, l'œuvre est riche par la diversité des aspects qu'elle aborde et des questions qu'elle pose. On y trouve à la fois une peinture sociale sans guère de concession de cette population calabraise déshéritée, une analyse politique lucide de jeux d'influence (dans la relation Nerone/Lupo, au sein de l'Eglise et vis à vis de l'extérieur ...), une analyse psychologique fine de personnalités parfois complexes ...Le thème dominant reste toutefois celui de la Religion et de l'Eglise catholiques, West ouvrant un certain nombre de voies de réflexion sur des problèmes tels que la nature de la foi, les mystères de la création, la définition de la sainteté, la diversité au sein de l'Eglise et son rôle; il n'hésite pas à remettre en cause certains aspects (comme par exemple le célibat des prêtres) et prône le rôle essentiellement pastoral du prêtre à quel que niveau que ce soit "parce qu'un homme qui ne peut aimer ses frêres ne peut aimer Dieu."

Je voudrais insister sur le fait que je suis par mes convictions a priori peu encline à porter de l'intérêt à ce type de préoccupations et d'univers. Aussi ai-je été, lors d'une première tentative, quelque peu rebutée par certaines considérations religieuses et théologiques qui m'ont amenée à ne pas poursuivre au-delà d'une centaine de pages (peut-être moins). Fait remarquable: je n'ai pas regretté d'avoir retenté l'aventure. La construction rigoureuse qui ménage le suspense, les points positifs énoncés précédemment ont su finalement capter et soutenir mon intérêt jusqu'au bout. Quant au message d'Amour, point n'est besoin de participer d'une quelconque religion pour y adhérer même si les cheminements peuvent être différents.
Quant aux catholiques fervents, je pense qu'il serait dommage qu'ils passent à côté d'une lecture qui devrait, je présume, ravir nombre d'entre eux.