Moulins d'autrefois
de François Fabié

critiqué par JulesRomans, le 29 avril 2014
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
S'espandis coma una auca!
C’est l’histoire de deux jeunes gens, de milieu social différent, qui connaissent un amour d’enfance :

« À partir de ce jour, Jean Garric aima encore davantage sa petite voisine ; et Aline Terral ne parut pas se déplaire en la compagnie du petit pâtre. Elle l’appelait même quelquefois, tantôt pour lui montrer les images de son livre où elle lisait couramment, tantôt pour lui raconter de belles histoires, apprises de son frère ou de son parrain, l’oncle Joseph, un conteur merveilleux ; tantôt pour lui demander de lui cueillir les noisettes des plus hautes branches, ou des pommes au sommet des pommiers. Comme il accourait alors, rouge, empressé, heureux ! Mais sa timidité ne diminuait point ; et rarement il se risquait à répondre autrement que par monosyllabes aux demandes de sa petite amie… »

Toutefois nombre d’acteurs extérieurs viennent contrarier la perspective d’un mariage. Le père d’Aline est contre et une garce tente de séduire Jean (d'où notre titre). On est à la période du Second Empire, avec le développement de l’instruction pour les garçons et le système du tirage au sort qui rend inégal le service militaire. Nous sommes dans le sud du Rouergue :

« C’est bien à toi parler ainsi, morveux !… Peut-être que, dans huit jours, tu seras soldat, et que tu t’en iras plus loin que tu ne voudrais… Ah ! tu menaces de lever de nouveau le pied !… Et moi qui comptais partir, ce soir même, pour Rodez, afin de prier notre député d’intervenir pour toi, la semaine prochaine, devant le Conseil de révision… Que dis-je ! Je cherchais à emprunter encore, si besoin était, de quoi t’acheter un remplaçant… »

François Fabié vit jusqu’à 19 ans dans l’Aveyron et après une formation complémentaire à Cluny, il enseigne dans le Var. Ses romans et poèmes évoquent pour une large partie le Rouergue du XIXe siècle. Avec "Moulins d’autrefois" on approche nombre de professions des villages de l’époque. On ne goûtera guère avec délectation (pour des raisons totalement différentes) les ennuis de l’instituteur communal avec son inspecteur primaire parce qu’il pratique déjà les méthodes actives:

« Je devinais : c’était l’inspecteur, Monsieur Broussaillet, mon ancien professeur à l’École Normale. J’étais dans de jolis draps ! Je fus frotté d’importance, dur et longtemps… J’eus beau dire que les petits paysans ont besoin de s’exercer aux travaux rustiques…, que le père Pigasse était bien dans l’embarras…, qu’il y avait là une question d’humanité, de solidarité… Il ne voulut rien entendre. Il consulta le tableau des classes, constata que j’avais fait perdre à mes élèves de la première division une leçon sur l’accord du verbe avec son sujet et une lecture au Manuscrit ; à ceux de la deuxième, une séance d’écriture et la récitation de huit vers du "Petit Savoyard", et, à la troisième, une lecture au treizième carton, plus le chant de l’hymne national "La Reine Hortense". Bref, il me fit comprendre que j’étais un maître inexact et fantaisiste et que, s’il ne demandait pas mon déplacement, encore cette fois, c’est qu’il avait été mon professeur, et qu’il espérait me ramener aux saines pratiques de la pédagogie. Je ne reçus donc pas mon changement à la rentrée suivante ; mais, comme à l’histoire des foins s’ajouta, un peu plus tard, celle de la leçon de géographie dans les gorges de la Durenque… »

On doit comprendre que sous le Second Empire, l'hymne national est "Partant pour la Syrie" donné ici sous un nom qui n'est pas officiel, mais fait allusion à l'histoire de ce chant.