Le temps désarticulé
de Philip K. Dick

critiqué par Bookivore, le 23 mars 2014
(MENUCOURT - 42 ans)


La note:  étoiles
The Ragle Gumm Show
Paru en 1959 aux USA, et en 1975 chez nous, "Le Temps Désarticulé" ("Time Out Of Joint", le titre tant original que dans sa traduction est issu d'une citation du "Hamlet" de Shakespeare qui est citée, d'ailleurs, à un moment donné dans le roman) est un des romans les plus connus de Philip K. Dick. Pas aussi mythique que "Le Maître Du Haut Château", "Ubik", "Blade Runner" ou "Loterie Solaire", mais pas loin.
Le roman fera forte impression à un certain Andrew Niccol, qui, lorsqu'il écrira le scénario du film de Peter Weir "The Truman Show" (avec Jim Carrey), puisera en partie dans ce roman pour l'inspiration ; une inspiration pas vraiment revendiquée, mais tous ceux qui auront, à l'époque, lu le roman sauront dire qu'il y a de grosses similitudes (c'est d'ailleurs dit au dos de la réédition poche la plus récente, celle au visuel ci-dessus).

Ragle Gumm, 46 ans, vit dans une petite ville américaine bien pépère et caricaturale, la Charmante Petite Ville Que L'On Connaît Tous Par Le Biais Des Séries TV Et Films Américains (les majuscules sont de moi). Il ne gagne pas bien sa vie, car il ne bosse pas, et le peu d'argent qu'il gagne, c'est par le biais d'un jeu-concours quotidien auquel il participe depuis deux ans (et il gagne sans interruption depuis autant de temps, il en est même entré dans la légende), un concours du journal local, concours pas vraiment détaillé dans le roman, et intitulé 'Où Le Petit Homme Vert Sera-t-il La Prochaine Fois ?'.
Un jour, Ragle découvre, dans des ruines situées non loin de chez lui, un curieux annuaire dont tous les numéros sont apparemment hors d'usage (il en a essayé pas mal, aucun ne répond), et un magazine assez ancien (d'apparence), qui parle notamment d'une certaine Marilyn Monroe, une actrice, apparemment, dont il n'a jamais entendu parler (et ses amis, chez qui il vit en locataire, non plus). Pourtant, apparemment, un de ses voisins, Bill Black, la connait, elle est célèbre depuis quelques années (l'action se passe en 1959). Ragle se demande si on ne se jouerait pas un peu de lui, car entre ça et diverses manifestations un peu étranges (des visions, hallucinations, qui lui arrivent), il sent son monde basculer... Il va mener son enquête.

Un très bon roman, peu épais (comme pas mal de livres de Dick, il fait ses 255 pages réglementaires), plutôt sympathique à lire même s'il faut quelques chapitres pour commencer à entrer vraiment dans l'intrigue, ce qui est le cas d'autres oeuvres de l'auteur, d'ailleurs. Mais au final, "Le Temps Désarticulé" est vraiment un excellent roman de genre, un de ceux dans lequel la réalité bascule, ce qui est courant chez Dick ("Ubik", "Le Dieu Venu Du Centaure"...). Pour amateurs, c'est une lecture très conseillée !
Un peu décevant 6 étoiles

Dans les années 50, Victor Nielson travaille dans le supermarché de sa petite ville américaine comme responsable du rayon fruits et légumes. Son épouse Margo vient le chercher en voiture en compagnie de son fils Sammy quand il a terminé sa journée de travail. De retour à la maison, ils retrouvent l’oncle Ragle Gumm qui gagne chichement sa vie grâce à ses réponses aux énigmes d’un jeu-concours proposé par un journal local. Leurs voisins, le couple Black, sonnent à leur porte et leur proposent de partager un plat de lasagnes. Ils finiront la soirée par une partie de poker. Le lendemain, Ragle invite Junie Black à venir se baigner avec lui. Elle accepte et semble même être attirée par Ragle qui sait bien que le couple bat de l’aile mais craint la réaction du mari s’il découvrait la liaison pour l’instant platonique. Mais quand il va pour s’approcher de la buvette de la plage, celle-ci disparaît soudain à ses yeux. Première étrangeté. Et un jour, Ragle apprend que s’il est toujours en tête de ses concours de devinettes, donc toujours gagnant au point qu’on en parle partout, c’est en raison d’une sorte de tricherie. Il serait le seul à bénéficier de plusieurs réponses. Deuxième étrangeté. Ragle se pose nombre de questions existentielles. Il songe à arrêter et même à partir de la maison. Serait-il en train de commencer une dépression nerveuse ?
« Le temps désarticulé » est un roman à tendance fantastique et même un peu science-fiction ou anticipation sur la fin. L’intrigue est conçue de telle façon qu’elle s'attarde beaucoup sur la vie quotidienne plutôt banale des personnages et ne bascule que vers la fin dans l’étrange, le fantastique et la science-fiction. On a même droit à une très court allusion à des voyages interplanétaires ! Le résultat final est un peu décevant. Le lecteur balance entre une forme de paranoïa possible du héros qui naviguerait sur les eaux troubles de la folie et la manipulation, voire le complot avant de plonger dans le véritable voyage temporel, lequel n’est que partiellement et insuffisamment exploité (à notre goût). Encore plus décevante est la fin qu’on ne déflorera pas pour ne pas « spoiler ». On peut quand même la qualifier d’invraisemblable avec tous ces gens qui ne sont pas ce que l’on croyait. L’ennui, c’est que quasiment rien dans ces révélations ne tient la route. On ressort d’autant plus déçu de cette lecture que le thème en était infiniment prometteur. En conclusion, cet ouvrage des débuts est loin d’être le meilleur du maître bien qu’on puisse y trouver en germes nombre des sujets de son œuvre : l’illusion, la paranoïa, la manipulation mentale, la menace atomique, le totalitarisme et les voyages dans l’espace.

CC.RIDER - - 66 ans - 8 novembre 2024


réalité 8 étoiles

Un excellent P.K Dick, on y retrouve ses thèmes fétiches: de la manipulation de la réalité à la guerre froide.
Comme évoqué en 4ème de couv (dans cette édition sympa qui a pour vocation de publier les œuvres les moins connues de cet auteur il me semble) ce roman a largement inspiré The Truman Show, les médias remplaçant la guerre froide.
Ici pourtant la guerre n'est pas froide et le protagoniste principal évolue dans un monde rétro où tous ses faits et gestes sont organisés autour d'un concours dans un journal. C'est lorsqu'il veut quitter la ville qui l'entoure et qu'il découvre des anomalies dans son univers qu'il sera confronté à une vision paranoïaque et égo-centrée du monde... jusqu'à la révélation de la vérité et des raisons de son lieu de vie.
Le génie de l'auteur est encore d'évoquer la folie et la perte de contact de réalité humaine en parallèle de complots gouvernementaux déformant la réalité.
"Le temps désarticulé" reste très abordable et cohérent pour un livre de K-Dick, auteur qui peut nous perdre dans les méandres de son imaginaire et de la conscience humaine.

Magicite - Sud-Est - 46 ans - 10 juillet 2014