Max et les félins
de Moacyr Scliar

critiqué par Libris québécis, le 12 août 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'autoritarisme
Le Brésilien Moacyr Scliar livrait en 1981 une oeuvre intéressante sur l'univers d'un jeune Allemand, qui vint s'établir au Brésil pour fuir la police politique naziste. La maison des Intouchables de Montréal a réédité en 2003 cette oeuvre qui a inspiré Yann Martel, le lauréat du Man Booker Prize avec Life of Pi afin que le lecteur soit à même de comparer les deux ouvrages. Le lien est bien ténu : dans Max et les Félins, un Allemand quitte son pays sur un bateau dans lequel se trouvent des animaux dans la cale, et dans Life of Pi, une famille quitte l'Inde dans les mêmes conditions. La première oeuvre décrit les conséquences de l'autoritarisme tandis que la seconde est plutôt d'ordre métaphysique.
Dans Max et les Félins, Scliar raconte la vie de Max, un jeune Allemand tracassé par l'autorité. D'abord celle de son père, un homme brutal qui vend des peaux d'animaux. Le jeune garçon, affolé par ce métier, est particulièrement effrayé par un tigre de Bengale empaillé, qui trône dans le commerce paternel. Déjà se dessine un caractère qui s'inscrit contre tout ce qui vient brimer la liberté. Plus tard, il est davantage excédé par le rêve naziste. Il devient même une victime du parti quand le mari de son amante le dénonce auprès des autorités pour son insubordination. Pour sauver sa peau, il quitte l'Allemagne à bord d'un bateau à destination du Brésil. Malheureusement pour lui, il fait naufrage. Max se retrouve donc en pleine mer, partageant son canot de sauvetage avec un passager peu commode, soit un jaguar.
Autour des félins s'érige une symbolique qui accompagne toute l'oeuvre. Les «anthropomorphistes» vont sourciller. Scliar pose le problème de l'autorité en recourant à l'image de la félinité. De prime abord, les animaux de cet ordre paraissent mignons comme tout, mais ce sont des carnassiers qui chassent sans pitié. Cette équation entre les félidés et le pouvoir totalitaire est une mise en garde contre tous ceux qui «prétendent se saisir du pouvoir au nom du bien du peuple. C«est cette ambition paternelle, bienveillante, mais aux conséquences toujours meurtrières, qui a fait naître Franco et Staline», comme l'écrivait Daniel Poliquin dans Visions de Jude.
En arrivant au Brésil après avoir été rescapé, Max espère oublier ce passé qui l'a rendu presque fou. Il s'installe à la campagne où il achète un domaine pour y pratiquer la culture et l'élevage. Mais hélas, les obsessions ne lâchent pas prise facilement. Qui devient son voisin? Un Allemand qui lui rappelle ses jeunes années. C'est suffisant pour que renaisse sa haine viscérale pour toute autorité qui s'exerce au détriment d'autrui. L'auteur démontre avec brio comment l'absolutisme peut détruire une personnalité et conduire à des aberrations découlant de blessures profondes.
On est loin de ces oeuvres sud-américaines qui ressemblent à des épopées ensoleillées. Max et les Félins est une oeuvre courte, forte et efficace comme Cacao d'Amado. Si l'on veut établir des comparaisons, Le Liseur de Sclink s'y prêterait davantage. On pourrait aussi trouver un écho de ce roman dans Les Origines du totalitarisme de Hannah Arendt ou encore chez Agota Kristof.