Souvenirs et solitude
de Jean Zay

critiqué par TRIEB, le 16 mars 2014
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans)


La note:  étoiles
BEAU RECIT D'UN GRAND HOMME
Certains livres marquent leurs lecteurs, les impressionnent : on éprouve à la lecture de ce type d’ouvrages une admiration grandissante au fur et à mesure que l’on progresse dans leur découverte ; on y puise aussi des raisons de se réconforter sur la nature humaine : le récit intitulé « Souvenirs et solitude », écrit par Jean Zay pendant sa captivité sous l’Occupation dans la prison de Riom est un de ceux-là.

Jean Zay hérite du Ministère de l’Education Nationale et des Beaux-arts en 1936 pendant le Front populaire. Sans doute aurait-il pu être un de ces innombrables ministres, vite oubliés dès leur démission de ce ministère stratégique : il n’en fut rien. Jean Zay créa le CNRS, le Musée de l’Homme, le festival de Cannes, le musée d’Art Moderne, l’ENA. Après un simulacre de procès, il est incarcéré à Riom, assassiné par la milice le 20 juin 1944, à peine âgé de quarante ans. Ce sont ces années de captivité qu’il décrit dans ce récit. On y découvre bien sûr le caractère contraignant de l’univers carcéral, les mises en évidence des natures véritables des détenus, leurs espoirs, souvent chimériques ou injustifiés, de réduction de peine, d’évasion, de révision de leur procès.

Pourtant, c’est à une véritable radiographie de la vie politique, des institutions, du comportement du personnel dirigeant de la France des années trente que se livre Jean Zay. Et il est terriblement actuel, pertinent, d’une lucidité peu commune : ainsi dénonce-t-il un dogme, celui de l’équilibre budgétaire défendu par l’Inspection des finances : « Une puissante cohorte veillait jalousement sur le respect de la sainte orthodoxie : au premier rang, se distinguaient la presse et ses chroniqueurs spécialisés, les économistes, les banquiers, les partis conservateurs. Mais, derrière ces troupes de choc se dessinait toujours la toute puissante inspection des Finances. »
D’autres analyses sont pénétrantes ; elles portent sur des sujets multiples et variés : l’incapacité chronique de notre diplomatie à élaborer une politique cohérente face au danger hitlérien, son manque de clairvoyance : « Mais que savaient la plupart de nos agents diplomatiques à l’étranger ? Quelle aura été leur clairvoyance, leur action dans les années décisives ? »

Autre constat lumineux : la dénonciation du cynisme, de la dérision comme mode permanent de réaction. En évoquant des caricatures injustifiées, Jean Zay en dénonce les effets pervers de leur usage systématique : « Elles affaiblissaient la cohésion nationale. Elles divisaient et surexcitaient. Les Français souffraient, a-on-dit, de n’avoir personne à aimer : on ne leur apprenait qu’a railler. »
Pourtant, le récit de Jean ZAY est loin de ne contenir que des constats amers, faussement désabusés : il souligne aussi la force des sentiments positifs, de l’enthousiasme, de l’entraînement des convictions. Lorsqu’il apprend la mort de Léo Lagrange au combat en 1940, Jean Zay lui rend un vibrant hommage, en tant qu’ancien ministre, comme lui, du Front populaire : « Mon chagrin évoque la collaboration affectueuse qui nous rapprocha (…) Pendant près de dix mois, j’eus la joie d’un travail solidaire avec Léo Lagrange, et dans quelle communauté de pensée, dans quelle atmosphère de juvénile entrain ! »
Jean Zay était ce qu’on appelle une belle personne, un grand homme. Ce récit rédigé dans les conditions les plus difficiles, le confirme amplement. La récente décision de transfert de ses cendres au Panthéon n’en est que plus justifiée et évidente.