1914
de Luciano Canfora

critiqué par Radetsky, le 16 juillet 2014
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Histoire d'un suicide : un vade-mecum
Cet ouvrage assez bref, retranscription de conférences radiophoniques, a le grand mérite d'éparpiller le sujet en l'enrichissant. Si les grands thèmes historiques classiques sont convoqués ("qui est responsable ?", "quel est l'évènement déclencheur", etc.) comme fils conducteurs, Luciano Canfora a tôt fait d'opérer de multiples bifurcations et entrecroisements tout en remontant largement le passé dans le souci d'éclairer les causes, les responsabilités, bien au-delà des quelques mois ou années ayant précédé le conflit.
On suit, chapitre après chapitre, une apparence de linéarité sans cesse brisée, formant en réalité une arborescence dans laquelle des interactions peu ou pas relevées en temps ordinaire se font jour, brouillant les images classiques que la vulgate sert d'ordinaire aux foules. Des ouvrages récents (la bibliographie est rappélée au fil du récit), surtout polémiques, sont l'occasion de noter les grandes ruptures de l'historiographie européenne. Des personnages tantôt célèbres (Thomas Mann, Ernst Jünger, les socialistes allemands,...) tantôt obscurs (sauf des spécialistes), tout comme des faits pourtant supposés connus, perdent la belle simplicité dont les classifications traditionnelles les avaient affublés et montrent bien que l'équilibre maintenu jusque là pouvait parfaitement continuer de fonctionner avec les conséquences qu'on imagine : l'économie d'un massacre séculaire.
Aucune catégorie parmi les "décideurs" n'est délaissée (parlementaires, gouvernements, chefs militaires ou politiques, syndicats, diplomates, journalistes, industriels, intellectuels, etc.) et aucune ne s'en sort avec "les honneurs de la guerre". Contradictions, ambiguïtés, incertitudes, mensonges, arrogance, calculs cyniques, dissimulations, ignorance, vanité, sont les moindres des vices cultivés par l'inconscience des "élites", qui rejaillira sur les masses, tous pays confondus, toutes classes confondues. Les racines étaient profondes... aussi profondes que pouvait l'être la stupidité des hommes. Et ces derniers n'ont guère changé.
On sort de cette lecture avec amertume et dégoût : tant de sang, pour...rien !

La langue de Canfora n'est ni précieuse, ni ampoulée, ni obscure, elle est celle d'un pédagogue concis allant à l'essentiel.
A lire donc.